Dossier :"Lien école/familles : Ces parents en mal d’école"
« Reconnaître la légitimité de tous les parents »
18 mars 2013

Entretien avec Pierre Périer, sociologue, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Rennes 2 et chercheur au CREAD

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- Quels enjeux pèsent sur les relations école-famille ?

  • Il y a un enjeu à établir un partenariat entre l’école et les familles des milieux populaires et immigrés, qui s’est imposé comme tel depuis une trentaine d’années jusqu’à devenir « nécessaire » , mais aussi un paradoxe. L’enjeu est de permettre aux familles de témoigner des signes de reconnaissance de l’école à leurs enfants, ce qui peut aider l’élève à investir positivement sa scolarité. Le paradoxe, c’est que les familles aux conditions de vie difficiles restent en retrait de l’école, ne sont pas en mesure de jouer le jeu selon les règles du jeu qu’on leur impose. Cet enjeu à vouloir établir des relations ne satisfait en réalité personne. Il faut donc déconstruire cette supposée nécessité du « dialogue » , de la « communication » , parce que les parents ne peuvent pas tous y répondre, tant déjà les dispositions langagières que cela demande sont éloignées de leurs possibilités. De plus, derrière les dispositifs concernant le partenariat ou la parentalité, il y a le risque d’assister à une normalisation ou mise en conformité au rôle attendu de « parent » ou de « parent d’élève » . Derrière le prisme institutionnel, se révèlent souvent des jugements ethnocentrés sur une fausse réalité de ce que sont ces parents ou pire, de ce qu’ils devraient être.

- Quels types de relations préconisez-vous alors ?

  • C’est à un rapport de complémentarité que l’institution, les équipes doivent travailler et d’abord en regardant les parents des familles populaires et immigrés tels qu’ils sont, dans leur diversité ! Leurs différences sont légitimes et il faut travailler avec ces différences qui les constituent. Ne pas se représenter l’élève avec souvent des stéréotypes et des préjugés activés par une méconnaissance de ce que sont ces familles populaires et immigrées. Il faut écarter l’idée que tout se jouerait du côté des familles, ne pas attendre un « dialogue » qui n’arrivera pas, ne pas mettre en place un énième dispositif aux effets limités. « Toucher » le plus de parents des milieux populaires et immigrés, reconnus légitimes face à l’école, implique de repenser la division des rôles et responsabilités, les règles d’échanges face à des familles qui jugent normal et même souhaitable de ne pas devoir intervenir.

- Comment l’école peut-elle mettre en pratique ce rapport de complémentarité avec les parents ?

  • Les parents des familles populaires et immigrés reconnaissent et légitiment l’école. Ils veulent que leurs enfants réussissent « une scolarité normale » sans atteindre forcément les premières places du système. Leur pire crainte, c’est que leurs enfants sortent de l’école « sans rien » . Mais pour les élèves les moins en connivence avec l’école et qui ont des difficultés d’apprentissage, très vite l’école regarde vers les familles, souvent avec indulgence et compréhension, mais parfois aussi en mêlant difficultés d’apprentissage et difficultés éducatives. Ce mélange des genres, difficultés cognitives et pratiques éducatives familiales, fait réagir les parents qui se sentent jugés. Car s’ils font confiance à l’école et à ses professionnels dans le domaine des apprentissages, ils revendiquent leur compétence à éduquer leurs enfants.

- Quel impact sur la formation des enseignants ?

  • La découverte des parents des milieux populaires et immigrés, la plupart des enseignants ne la vivent qu’à l’école. Alors, quand ils se sentent inefficaces ou en situation d’échec professionnel, ils ont tendance à externaliser les difficultés de l’élève sur sa famille, son éducation, son quartier... ou à les expliquer par des dimensions psychologiques (blocages, immaturité...). Or, c’est sans doute par un fin travail d’analyse sur les modalités d’apprentissage, sur ses propres pratiques et son regard d’enseignant qu’il semble nécessaire en premier lieu de comprendre la nature des difficultés scolaires, sans recourir à des interprétations qui exonèrent. Ce qui interroge aussi la formation et l’accompagnement des enseignants. Car il est impossible de mener seul un travail d’auto-analyse de ses pratiques, par manque de temps, d’outils de décryptage, de système en alternance. Il semble donc urgent de reformuler les rapports école-familles, en terme de complémentarité de rôles, de reconnaissance mutuelle et de légitimation réciproque.anson) ont aussi un rôle à jouer.

Pierre Périer a publié récemment :

  • L’ordre scolaire négocié. Parents, élèves, professeurs dans les contextes difficiles. Rennes, PUR, 2010.
  • La socialisation professionnelle des enseignants du secondaire. Parcours, expériences, épreuves. Rennes, PUR, 2012 (Avec P. Guibert)