Dossier : "Recherche et métier : des ponts à construire "
« Un rôle décisif dans l’infléchissement des pratiques »
2 octobre 2012

Sylvie Cèbe est membre du laboratoire Activité, Connaissance, Transmission, éducation (ACT é–EA 4281), et a participé à la réalisation pour les classes des outils Phono et Catégo (Hatier) et Lector et Lectrix (Retz)

- En 2001, Antoine Prost parlait d’un déficit de recherches dans le champ de l’éducation. Qu’en est-il d’après vous aujourd’hui ?

  • En 2012, la recherche en éducation en France n’est toujours pas plus coordonnée, orientée et financée. De plus, elle souffre d’un manque de diffusion auprès des principaux acteurs. Les modalités d’évaluation des enseignants chercheurs n’encouragent pas ceux-ci à travailler sur les questions vives du métier. En effet, s’ils veulent participer à l’évaluation de leur laboratoire, ils doivent publier leurs résultats dans des revues spécialisées qui sont peu lues par les enseignants. Ils font donc des choix stratégiques et renoncent à des modes de travail qui s’avèrent peu « rentables ».

- La recherche a-t-elle vertu à irriguer les pratiques de classe ?

  • Pas seulement. On a besoin de recherches fondamentales qui n’ont rien d’utilitaire. Elles permettent néanmoins de mieux comprendre un certain nombre de phénomènes et dans bien des cas ont l’ambition d’infléchir les pratiques pour les rendre plus efficaces. Ce n’est pas toujours le cas et le problème ne réside pas seulement dans le manque de diffusion. Certains résultats n’ont rien changé aux pratiques habituelles. Cela tient au fait qu’on a trop tendance à postuler que les enseignants sont capables de transformer les savoirs issus de la recherche en savoirs pour l’action et ce, dans toutes les disciplines. Pour nombre de compétences, la recherche reste silencieuse sur la progression à adopter, les tâches à proposer, l’organisation sociale à privilégier… Je crois que ce travail revient aux chercheurs. C’est pourquoi, avec Roland Goigoux, nous travaillons à la conception de manuels scolaires. Nous construisons seuls le premier prototype puis nous proposons ensuite à des enseignants de nous aider à le faire évoluer. Ils testent l’ensemble de nos propositions, les valident, les amendent, les rejettent et les améliorent. C’est donc dans l’interaction avec les utilisateurs que le prototype de départ devient opérationnel et donc utilisable. Nous faisons le pari que si ces derniers disposent d’outils conçus rigoureusement, ils auront plus de disponibilité à consacrer à l’essentiel : les apprentissages de leurs élèves.

- D’autres types de transmissions sont-elles nécessaires ?

  • La formation est l’autre paramètre qui permet de faire le lien entre recherche et terrain. Par exemple, l’année dernière, l’IUFM d’Auvergne, en partenariat avec l’inspection académique, a mis en place un dispositif particulier : la formation continue diplômante. Il permet aux enseignants titulaires du premier degré de valider un master 2 en trois ans (une partie des enseignements se faisant sur le temps de classe, l’autre sur le temps personnel). Cette proposition a rencontré une forte adhésion. Nous avons eu cinq fois plus de candidats que de places offertes. Ceci prouve l’intérêt que les enseignants portent à leur formation personnelle et aux apports de la recherche quand ceux-ci sont relayés par les formateurs. Dans ce cursus, ils ont l’occasion entre autres de participer à plusieurs études, notamment à travers un mémoire. Ils sont aussi amenés à concevoir, ensemble, différents scénarios didactiques qu’ils testent dans leur classe et qu’ils modifient, toujours ensemble, en fonction des résultats recueillis.

- Plus globalement, quel rôle la masterisation peut-elle jouer dans le domaine ?

  • Certains mémoires de master, remarquables, apportent des données réellement nouvelles. Mais qui lit les mémoires de nos étudiants, exceptés leurs parents et les membres du jury ? Alors pourquoi le SNUipp ne demanderait-il pas aux formateurs de lui adresser les meilleurs d’entre eux et n’inviterait-il pas leurs auteurs à présenter leur travail à l’Université d’automne ? Je suis convaincue que la recherche peut jouer un rôle décisif dans l’infléchissement des pratiques à condition que les chercheurs ne se contentent pas d’enseigner ce sur quoi ils cherchent et ne minorent pas l’importance des gestes de base du métier.

L’ensemble du dossier

- "Recherche et métier : des ponts à construire "
- Université d’automne du SNUipp -FSU
- Programmes : sortir de l’université
- Formateurs : le chainon manquant
- Orthographe : l’indispensable médiation
- Pratiques pédagogiques : à la recherche du consensus
- En bref
- « Un rôle décisif dans l’infléchissement des pratiques »