#BilanBlanquer- Episode 4- Une école bouleversée dans sa structuration et sa gouvernance

Mis à jour le 15.02.22

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Les évolutions imposées depuis 2017 en termes de pilotage et de gouvernance ont des conséquences sur plusieurs niveaux. Au niveau du système, elles remettent en cause le principe de l’égalité territoriale. Au niveau de l’enseignement, elles sapent les finalités même de l’école. (épisode 5 à venir).

Bilan Blanquer (4) #

Quand pilotage autoritaire et brouillage des compétences se cumulent…
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EPLESF (établissement public des savoirs fondamentaux), soutien à la loi Rilhac, expérimentation marseillaise... Depuis sa nomination, le ministre n’a eu de cesse de s’attaquer à l’organisation de l’école, basée sur un collectif de pairs dont l’un·e est chargé de direction. Comme le montre la loi Rilhac, l’objectif est d’extraire le·la directeur·trice de l’équipe enseignante pour lui conférer une « autorité », lui déléguer des compétences auparavant aux mains de la hiérarchie, lui donner un rôle dans « l’encadrement de l’enseignement du 1er degré ». Les enseignant·es ont pourtant montré leur opposition à cette évolution qui conduirait à l’isolement et à la « compression » des directeurs·trices entre la hiérarchie et l’équipe. Leur mobilisation contre la loi dite de « l’école de la confiance » a permis l’abandon des EPLESF, contourné depuis par le ministre avec l’aide de la loi Rihlac comme de l’expérimentation marseillaise. Ce dont les écoles ont besoin c'est de moyens pour mieux fonctionner : temps de décharge pour la direction, aide humaine et pérenne au fonctionnement de l’école, allègements des tâches administratives, formation et revalorisation.

En parallèle, l’éducation prioritaire est le terreau d’expérimentation d’une nouvelle gouvernance mettant à mal une politique bâtie sur des réseaux dont la carte est arrêtée sur la base d’indicateurs nationaux. Une dérive est en cours, faisant passer d’une obligation de moyens alloués par l’État à une obligation de résultats des écoles et établissements. C’est le sens des Contrats Locaux d’Accompagnement (CLA), expérimentés dans 3 académies et signés entre une école et le Rectorat, avec des moyens « sur mesure ». C’est aussi le sens de l’expérimentation lancée à Marseille, avec un pouvoir de recrutement annoncé pour les directeurs·trices, l’autonomisation des écoles sur les contenus pédagogiques et les rythmes, et l’attribution contractuelle des moyens. Au sein des Cités éducatives en zones urbaines - dont le nombre augmente – mais aussi des Territoires éducatifs ruraux (TER) qui se développent sur le même modèle, le constat est fait d’un affaiblissement de l’Éducation nationale par le pilotage partagé avec les collectivités locales, dont la place est grandissante.

Le SNUipp-FSU refuse la mutation d’un service public d’éducation national au service de la réussite de tous les élèves, vers une constellation d’écoles prises dans une forme de concurrence et pilotées par des directeurs·trices, chargé·es de diriger les enseignant·es et leurs pratiques. Les évolutions actuelles remettent en cause le principe de l’égalité sur le territoire.

 La formation : nouveau levier de contrôle et de management #

Jean-Michel Blanquer a fait du contrôle autoritaire de la formation des enseignant·es un des marqueurs de son action.
La transformation des ESPE en INSPE traduit cette volonté : désormais, leur directeur·trice est nommé·e par le ministre alors que, dans toutes les autres composantes de l’université, les directeur·trices sont élu·es par leurs pairs. Ainsi, le ministre s’est donné les moyens de contrôler non seulement les contenus de formation initiale mais aussi son pilotage.
Pour la formation continue, le ministère vient de créer de nouvelles « écoles académiques de la formation continue » (EAFC), dont le directeur·trice est placé·e aux côtés du recteur et formé·e dans les mêmes lieux que le haut encadrement du ministère… alors même que des « Conseils académiques de formation » avaient été créés en 2019, associant les représentant·es des personnels...
Enfin, suite au « Grenelle », il a ouvert aux formateurs et formatrices du 1er degré la possibilité de « s’engager dans des fonctions d’encadrement ». Ce brouillage de leur mission, entre formation et évaluation ne peut que fragiliser la relation que les formateur·trices doivent construire avec les enseignant·es, alors même qu’ils et elles se mobilisent dans les départements contre la surcharge et la perte de sens de leur travail. Cette profonde dénaturation de la fonction de conseiller·es pédagogiques est par ailleurs confirmée par leur participation à « l’évaluation des écoles » lancée cette année par le CEE (Conseil de l’Evaluation de l’Ecole, qui a remplacé le CNESCO).
Avec la « transformation en profondeur de la gestion des ressources humaines » engagée par le « Grenelle », c’est la conception même de la formation continue qui est bouleversée : elle n’est plus au service des enseignant·es pour renforcer leur professionnalité, mais devient un levier de management, permettant la « valorisation » des un·es contre les autres…
Ce sont ainsi les finalités même de l’école qui sont atteintes, or la réussite de tous les élèves n’est possible que portée par un collectif enseignant, par des dynamiques pédagogiques collectives empêchées par la mise en concurrence des enseignant·es entre eux.

La pédagogie, cible et victime de la gouvernance autoritaire
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Inscrite dans la loi depuis 2005, la liberté pédagogique est une notion bien plus ancienne. Le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry signe le 16 juin 1880 un arrêté qui prévoit que les enseignant·es établissent collectivement « la liste des livres qu’ils jugent propres à être mis en usage dans les écoles primaires publiques », son objectif étant qu’ils et elles prennent « l’initiative, la responsabilité et la direction des réformes dont leur enseignement est susceptible ».
 
Bien que les seuls textes officiels qui s’imposent à tou·tes sont les programmes, jamais les professeur·es des écoles n’auront connu autant de guides, vadémécum, prescriptions et formations imposées que sous le ministère Blanquer.
A la différence des documents d’accompagnement des programmes précédents, les auteurs des guides sont anonymes et les guides donnent non pas à réfléchir sur la pratique de classe mais indiquent « des bonnes pratiques ». Cela a pour effet de dessaisir les enseignant·es de leur métier.
 
Les 14 guides et vademecum produits à ce jour écrasent les programmes de deux manières : par leur densité tout d’abord (pour exemple, le programme « consolidé » de maternelle fait 20 pages, mais les 2 guides maternelle comportent 102 et 68 pages…), mais aussi par la manière dont la hiérarchie les impose aux PE. Dans la circulaire de rentrée 2021, ce sont des guides qui seront dorénavant distribués aux stagiaires, érigeant ainsi en textes quasi-officiels des documents qui rompent pourtant avec les programmes et les consensus scientifiques sur les questions qu’ils traitent.
 
La victime principale de cette « gouvernance » est bien la pédagogie, c’est-à-dire la capacité des enseignant·es à construire un enseignement qui tienne compte des ressources et des difficultés de leurs élèves, et à développer une dynamique collective dans un groupe classe qui « entraîne » tous les élèves.

Verticalité et mépris #

 « Il n’y aura pas de loi Blanquer, j’en serai fier ; il y aura des évolutions qui ne seront pas verticales » (Le Point, le 26 mai 2017)
C’est pourtant bien le ministre qui a voulu inscrire dans la loi intitulée « Pour l’école de la confiance » un devoir de réserve ayant pour objectif de transformer le « fonctionnaire-citoyen », issu du Conseil National de la Résistance et renforcé par les lois de 1983, en « fonctionnaire-exécutant », conception héritée du XIXème siècle et instituée sous le régime de Vichy.
 
Le ministre a l’obsession de réduire au silence ses détracteurs·trices. Parmi ses premières décisions, la suppression du CNESCO, organisme indépendant, remplacé par le Conseil d’Evaluation de l’Ecole dont la majorité des membres est désormais directement nommée par le ministre. Par ailleurs, la suppression de l’inspection générale, par changements statutaires, se fera immanquablement aux dépens de l’intérêt général et des missions d’évaluation du service public.
 
Précisons que JM Blanquer se distingue par le nombre record de rapports de l’Inspection Générale non publiés. Cette discrète « censure » s’accompagne d’une pratique d’instrumentalisation, illustrée par la création en 2018 du syndicat « Avenir lycéen », chargé de porter la parole du ministre.
 
Pendant 5 ans, JM Blanquer a orienté l’opinion publique contre les enseignant·es en multipliant la désinformation et les mensonges : participation du ministre à une campagne de « prof-bashing » laissant entendre qu’ils « auraient décroché » pendant le confinement ou qu’ils seraient coupables « d’absentéisme », fausses annonces sur la revalorisation des enseignant·es… les exemples sont légion.
 
Ce ministère aura étouffé les remontées du terrain, accru les absences de positionnement et de soutien de la hiérarchie intermédiaire (IEN, DASEN) auprès des enseignant·es, mis sous pression toute la profession dans un contexte de « Pas de vagues ». C’est d’ailleurs contre cette “école de la défiance” que se sont fortement mobilisés les personnels lors de la journée de grève historique du 13 janvier dernier.

 Gouvernance et pilotage de l’école inclusive #

Le ministère Blanquer a changé de cap en 2018 en mettant en place de nouvelles organisations et de nouveaux outils pour « rationaliser » et restructurer l’école inclusive. Maquillé par de bonnes intentions sur la dynamique d’une société plus inclusive, le ministère a, en réalité, poursuivi la baisse des moyens et le changement des missions des personnels.
 
De nouvelles formes managériales remettent en cause les missions premières et les métiers des personnels. L’organisation en PIAL (Pôle Inclusif d’Accompagnement Localisé) illustre cette volonté de rationalisation des ressources humaines. Il regroupe des AESH, sur plusieurs établissements (souvent inter degré) géré par un·e coordo PIAL qui n’a reçu aucune formation et qui est déjà sur un poste (Direction d’école, coordo ULIS, DACS, AESH...).  Les AESH sont affectés parfois du jour au lendemain sur une mission d’accompagnement, et parfois avec plusieurs élèves différents sur la journée sans tenir compte du projet de l’élève et de la cohérence de son suivi.
La nouvelle gouvernance par les évaluations et les indicateurs chiffrés pèse sur la qualité du service public, la gestion managériale a pris la place des projets de scolarisation des élèves, sans prendre en compte la réalité des besoins des élèves en situation de handicap et/ou en grande difficulté. Les Agences Régionales de Santé ont fixé l’objectif de fermetures massives (jusqu’à 80%) de places dans les ESMS (établissements et services médico-sociaux), en les remplaçant progressivement par du saupoudrage de moyens avec la création d’EMAS (Equipe Mobile d’Appuis à la Scolarisation) peu opérationnels jusqu’à présent, pour venir conseiller et former des équipes qui seraient en difficulté.
Malgré une augmentation des situations difficiles dans les classes, le ministère a fait le choix d’une gestion et d’une gouvernance à moindre coût. L’ambition d’une école qui permet à toutes et tous d’entrer dans les apprentissages et de progresser, passe par le respect du besoin spécifique de l’élève dans un cadre collectif, et la mise en œuvre des formations et des recrutements pour y répondre. La gestion managériale actuelle est une entrave à ces objectifs.

Le SNUipp-FSU défend un système éducatif égalitaire sur l’ensemble du territoire, capable, pour faire réussir tous les élèves, de « donner plus à ceux qui ont moins ». Le respect des métiers (enseignant·es, RASED, AESH, formation…) est indispensable à une école démocratique et émancipatrice. Le pilotage par des indicateurs qui visent avant tout l’économie des moyens est incompatible avec l’école émancipatrice que le SNUipp-FSU appelle de ses vœux.

Le SNUipp-FSU analyse la politique éducative de Blanquer, en 8 épisodes :