Anne Sylvestre, une double voie
Mis à jour le 02.12.20
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Anne Sylvestre laisse en partant à la fois un patrimoine de chansons pour enfants et un répertoire dense de chansons engagées. « Je vous prie, ne m’inventez pas, vous l’avez tant fait déjà" chantait-elle. Une invitation à réécouter ou découvrir ses textes à la fois poétiques et espiègles.
Pas forcément en haut de l’affiche médiatique, elle a parcouru le paysage musical de la chanson française dans une reconnaissance qu’elle ne percevait pas. Ne se sentant pas légitime, malgré ses 60 ans de carrière, elle disait de son bilan: «je remplis mes salles et quand quelqu’un dans la rue me dit "excusez-moi mais je vous aime", c’est merveilleux.» Elle berçait ou amusait les enfants avec ses « fabulettes », comme elle touchait et interpelait les adultes avec ses chansons tendres, drôles et engagées.
Les rescapés des Fabulettes
Ses chansons inscrites au patrimoine scolaire, au point que des écoles portent son nom, se sont fredonnées sur les lèvres d’enseignant·es ou d’anciens enfants à l’annonce de son décès. Ses contes musicaux pour enfants, ses galeries d’animaux ou de portraits remplissent les cours d’école depuis des décennies et ont accompagné nombre d’enfance. Anne sylvestre voulait ainsi « donner le goût de la liberté, le plaisir de chanter ». Elle dirait de beaucoup d’entre nous que nous avons au fond de nos mémoires une maison pleine de fenêtres, une tortue têtue ou un bateau même s’il n’était pas beau, que nous avons dans un coin de nos têtes des trucs pour avoir un bonbon et un amour pour la petite Josette. Un clin d’œil à ces enfants devenus grands qu’elle chante dans les « rescapés des Fabulettes » où elle annonce « Finalement quand j’y repense/ Nous voici quitte à présent/Si j’ai enchanté leur enfance/ La mienne était cachée dedans ».
Un refrain féministe
Au-delà des 18 volumes de « Fabulettes », Anne Sylvestre a également environ 400 titres pour adulte à son répertoire. A une époque où les femmes étaient interprètes de chansons écrites par des hommes, elle devient autrice et compositrice. Dans une écriture malicieuse, tendre et ironique, elle témoigne de morceaux de vie et donne la vision des femmes. Ses chansons sont poétiques et engagées. Connue particulièrement pour « j’aime les gens qui doutent », elle compose des chants humanistes, écologiques ou indignés.
De l'ironique "Faute à Eve" à la métaphorique, poignante et révoltée "Douce maison", sa carrière est jalonnée de nombreux chants résolument féministes. Nous retiendrons particulièrement la dénonciation du poids de la misogynie ("Une sorcière comme les autres") ou de la charge mentale ("Clémence en vacances"), les stéréotypes de genre ("La vaisselle"), les agressions sexistes ou sexuelles ("juste une femme"). En mémoire aussi, son appel à la sororité dans «Frangines » ou « Petit bonhomme », et enfin « Non, tu n’as pas de nom », une apostrophe au libre choix des femmes, devenu un hymne du planning familial.
"Oui je suis féministe. Je suis une femme qui écrit des chansons et quand j’ai une conviction ou une indignation, il est normal et fatal que cela fasse une chanson." confiait-elle dans un entretien donné à Fenêtres sur Cours en 2014. "La dignité des femmes est souvent oubliée dans des petites remarques, des histoires drôles, des gauloiseries. Ce n’est pas grave dit-on, c’était pour rire !"
Anne Sylvestre, en avant-garde, avait choisi, non sans humour et avec un amour des mots, de ne pas taire ses indignations.
Anne Sylvestre, une artiste à chanter et redécouvrir.