“ L’école, un lieu de décélération ”

Mis à jour le 03.10.18

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Philippe Meirieu enjoint à revenir aux essentiels

Philippe Meirieu a été enseignant, formateur, directeur de l’Institut national de recherche pédagogique et de l’IUFM de l’Académie de Lyon. Il est aujourd’hui professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon 2 et directeur de la collection « Pédagogies » chez ESF éditeur. Dans son dernier livre La riposte, il propose de dépasser les malentendus et de revenir à l’essentiel.

« LA RIPOSTE ». DERRIÈRE CE TITRE SEMBLE POINTER UNE CERTAINE COLÈRE À LAQUELLE NOUS NE SOMMES PAS HABITUÉS DE VOTRE PART. À QUOI FAUT-IL RIPOSTER ? 

PHILIPPE MEIRIEU : Il y a effectivement, chez moi, une certaine colère : colère de voir le travail pédagogique caricaturé au plus haut niveau de l’État, de voir nos idéaux bafoués au nom de la lutte contre « le pédagogisme », « l’égalitarisme » et « le constructivisme », de voir trop de collègues se sentir méprisés. Il y a, en effet, une vraie violence qui se déploie aujourd’hui dans le système scolaire, d’autant plus forte qu’elle s’abrite sous les oripeaux du « pragmatisme » et de la « vérité scientifique » et qu’il est donc très difficile de la contester.
Sans vraie concertation, le ministère effectue dans la précipitation des « ajustements » aux programmes qui en changent profondément le sens. Sans regarder de près le travail effectué ces dernières années, il le déclare obsolète. Sans souci du pluralisme ni du débat démocratique, il change brutalement les instances et les personnes. Sans loi d’orientation débattue au parlement, il prend des décisions sur l’évaluation et se propose de changer le statut des enseignants et la gestion des personnels. Tout cela relève d’une stratégie politicienne – donner satisfaction à l’opinion publique dans ses différents courants – en même temps que cela renvoie à une conception technocratique et libérale de l’École : renforcer les outils de contrôle, on parle de « transparence », pour faciliter la concurrence, conçue comme gage de qualité. Ce n’est pas du tout ma conception du service public.

“ Cette pédagogie-là ne peut se réduire à l’application de recettes ni être pilotée par les résultats. ”

VOUS Y LISTEZ LES « MIROIRS AUX ALOUETTES » DE L’ÉCOLE. QUELS SONT-ILS ?

P.M. : Les deux principaux sont le scientisme et le spontanéisme. Le premier, très en vogue au ministère, prétend que l’enseignement est une science et qu’il suffirait de combiner les résultats de tests nationaux et internationaux avec les découvertes des neurosciences pour enseigner correctement. Le second, inscrit dans la mouvance du « développement personnel » et promu par un courant qui se prétend alternatif, conçoit l’éducation comme la contemplation béate d’aptitudes qui s’éveillent naturellement. Ces deux courants entretiennent le soupçon et fournissent aux parents des « arguments » pour contester le travail des enseignants de l’école publique, qui ne seraient jamais ni assez efficaces, ni assez bienveillants. Et surtout, ils font l’un et l’autre l’impasse sur la vraie pédagogie, celle qui articule des finalités, c’est-à-dire un projet d’avenir pour nos enfants, des connaissances à prendre en compte, issues de toutes les approches, et des propositions concrètes avec des méthodes et des outils. Cette pédagogie-là ne peut se réduire à l’application de recettes ni être pilotée par les résultats. Elle nécessite l’engagement du maître, l’exercice de son jugement et la mise en œuvre d’une inventivité individuelle et collective. Toutes choses qu’une vraie formation continue devrait encourager.

QUELS SONT POUR VOUS LES VRAIS DÉFIS POSÉS AUJOURD’HUI À L’ÉCOLE ? 

P.M. : D’abord l’accès de nos enfants à la pensée, pour résister à la multitude des injonctions à la satisfaction immédiate de toutes leurs pulsions comme à l’adhésion aveugle à tout « prêt-à-penser ». Ensuite, la construction du « commun », le travail sur le collectif, la découverte que j’ai besoin de l’autre et que l’autre a besoin de moi, que nous sommes solidaires et devons coopérer, contre toutes les formes d’individualisme mortifère. Concrètement, cela signifie que l’école doit être un lieu de décélération et non une course d’obstacles ou un entraînement permanent à passer des tests standardisés. Cela implique aussi de développer toutes les formes d’entraide entre les élèves et des projets coopératifs. Et nous sommes quelques-uns à penser qu’ainsi, comme le disait Fernand Oury, on n’apprendra pas à lire, écrire et compter aussi bien qu’ailleurs… mais mieux.

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