La fin du réchauffement ?
Mis à jour le 16.06.23
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Le climat scolaire est réduit à un simple indicateur
La notion de climat scolaire est apparue comme un outil pour améliorer les conditions d’enseignement et la réussite des élèves. Elle semble aujourd’hui réduite à un simple indicateur.
Il y a une trentaine d’années, des études internationales ont montré, en observant des élèves issus de zones défavorisées, que des conditions d’apprentissage favorables amélioraient de 30 % leurs résultats scolaires. L’attention à ce qu’on a rapidement appelé le climat scolaire s’est développée autant comme un remède à la désespérante reproduction par l’école des inégalités sociales que comme un instrument de lutte contre les phénomènes croissants de violence et de harcèlement scolaires. Le climat scolaire est longtemps resté une notion aux contours assez flous. Il est défini aujourd’hui comme reflétant le jugement des parents, des éducateurs et des élèves concernant leur expérience de la vie et du travail au sein de l’école, envisagés en tant que groupes constitués, et donc dépassant la simple perception individuelle.
Un sujet incontournable
En France, Éric Debarbieux, ancien éducateur et instituteur devenu professeur en sciences de l’éducation, a fait du climat scolaire un sujet de recherche et progressivement un domaine incontournable en matière de politique publique éducative. Il a aidé à cerner les composantes participant du climat scolaire : méthodes pédagogiques et relation éducative, qualité de vie et bien-être, relations avec les partenaires de l’école, co-éducation, stratégies collectives, justice scolaire, prévention et gestion de la violence et du harcèlement.
Si ce dernier point cristallise souvent l’attention médiatique et qu’un élève sur dix se déclare concerné par le harcèlement, le travail sur l’amélioration du climat scolaire n’a pas pour seul objet la lutte contre la violence à l’école. Il s’agit bien d’une approche systémique qui concerne élèves, parents et personnels des établissements.
L’objectif de l’amélioration du climat scolaire figurait dès 2011 dans les circulaires de rentrée et dans la loi de 2013 dite de refondation de l’école. À l’époque, la question était portée par une délégation ministérielle produisant documents d’accompagnement et formations pour les équipes autour des principaux facteurs identifiés comme déterminants dans l’amélioration du climat scolaire. Parmi ceux-ci, la lutte contre le sentiment d’injustice des élèves, une attention particulière aux discriminations et à l’égalité fille-garçon, un travail collectif autour du règlement de l’école, une cohérence de l’autorité éducative sur les différents temps de l’enfant, un lien respectueux entre parents et professeurs et la stabilité et la cohésion de l’équipe enseignante.
Un thermomètre plutôt complaisant
Depuis la nomination de Jean-Michel Blanquer, le ministère de l’Éducation nationale semble avoir abandonné l’idée de travailler en profondeur sur la question. Il se contente de sortir périodiquement le thermomètre en diligentant des enquêtes menées par la DEPP,
Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance.
Ces études ont au moins le mérite de déconstruire les représentations d’une école livrée à la violence et à la désorganisation. Ainsi en 2020-2021, 92,4 % des élèves de CM1-CM2 déclaraient se sentir bien ou très bien à l’école. Mêmes résultats plutôt positifs pour l’enquête nationale de climat scolaire et de victimation 2022 auprès des enseignants•es avec 86 % qui se déclarent bien ou très bien à l’école. La prochaine étude sur le sujet menée par Éric Debarbieux et Benjamin Moignard pour l’Autonome de solidarité laïque, avec une toute autre méthodologie et dont les résultats seront connus en septembre prochain, en dira certainement un peu plus sur le malaise enseignant.
Interview d'Eric Debarbieux, professeur émérite en sciences de l’éducation, spécialiste de la prévention de la violence à l’école
Vous travaillez sur le climat scolaire depuis plus de 20 ans. Quelles sont les évolutions ?
Je me réjouis que les enquêtes sur le climat scolaire soient devenues un standard régulier même si les résultats de la dernière effectuée par la DEPP auprès des personnels du premier degré me semblent devoir être pris avec une certaine prudence. Ils sont relativement rassurants mais je me demande si on est allé assez loin dans la précision des questions, dans l’analyse et le croisement des données obtenues. Certains indicateurs semblent pourtant indiquer une dégradation dans les conditions de travail des enseignants : difficultés de recrutement, augmentation des démissions, turn-over important des personnels dans les zones difficiles... Nous effectuons actuellement avec mon équipe une enquête de terrain qui devrait donner des éléments plus précis. La méthodologie est la même que pour celles que nous avons menées en 2011 et 2016 et on devrait avoir des éléments de comparaison sur la durée. Les résultats seront publiés en septembre prochain.
Quelles difficultés repérez-vous dans le premier degré ?
Je suis interrogatif sur deux points essentiels. L’inclusion scolaire est, bien sûr, une loi généreuse qu’il ne faut pas remettre en question mais elle apparaît en premier lieu parmi les difficultés citées par les personnels. On a augmenté le nombre des AESH, accompagnant•e des élèves en situation de handicap, mais ils sont toujours insuffisants, souvent mutualisés et mal payés. On ne peut pas confier une mission si importante à des personnels déconsidérés et souvent en situation fragile. D’autant que parallèlement, on réduit les maîtres surnuméraires et les RASED qui pouvaient aider les personnels. Le second point est relatif à la gestion de crise dans la classe liée aux problèmes comportementaux des élèves. Face à cela, les enseignants continuent à être livrés à eux-mêmes sans formation ni réflexion collective.
Comment sortir de cette situation ?
J’ai écrit un livre en 2017 intitulé « Ne tirez pas sur l’école ! » (Armand Colin 2017) et je crois qu’on en est malheureusement toujours là. Politiques, journalistes et intellectuels se mettent facilement d’accord pour tomber à bras raccourcis sur l’école et les enseignants. Cela génère un climat pesant qui complique considérablement l’investissement des personnels, les relations entre parents, élèves et enseignants. En cas de difficulté, le réflexe est souvent de chercher qui est coupable alors qu’il devrait être : comment on peut aider ? Malheureusement, la recherche de boucs émissaires colle très bien avec le climat social actuel.