Les initiatives pionnières
Mis à jour le 03.12.24
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Interview de Cyril Dion sur l'urgence de rénover les écoles face au dérèglement climatique
Cyril Dion est réalisateur et auteur. Il a initié et a été l’un des garants de la convention citoyenne pour la climat en 2019-2020
QUELS SONT LES ENJEUX ÉCOLOGIQUES DU BÂTI SCOLAIRE ?
CYRIL DION : De manière générale, consommer le moins d’énergie possible, voire en produire de manière renouvelable. Et donc isoler le plus possible, notamment en végétalisant l’école mais aussi ses environs, pour rendre les étés supportables et échapper à des températures empêchant les élèves de se concentrer. Pour diminuer la pression sur la ressource en eau, récupérer la pluie pour des usages non alimentaires. Et puis donner aux bâtiments scolaires une fonction démocratique. Les infrastructures jouent sur la façon dont les gens interagissent à l’intérieur. Or, la crise écologique est liée à une profonde crise démocratique. Dans un monde où se parler, s’entendre, parvenir à une interprétation commune du réel devient de plus en plus difficile, il faut des bâtiments qui, dès l’enfance, permettent le brassage, la rencontre, le dialogue, la coopération.
COMMENT ADAPTER L’ÉCOLE À LA CRISE CLIMATIQUE ?
C D: Éco-construire des écoles et penser le tissu urbain autour suppose une volonté politique des collectivités locales et de l’Éducation nationale. Le mouvement architectural de « frugalité heureuse » propose des constructions avec des matériaux locaux, biodégradables et durables, réduisant la consommation de matériaux et d’énergie. Il faut aussi que les écoles soient accessibles à pied, à vélo, en transports en commun pour éviter les émissions de gaz à effets de serre des voitures.
Les cantines scolaires sont aussi un levier puissant de transformation d’une agriculture co-responsable du réchauffement. La commande publique de repas est une aide à l’installation et la conversion de paysans bio et locaux. Au regard de l’effet cocktail délétère des pesticides, l’alimentation bio est un enjeu sanitaire majeur pour nos enfants. Les réglementations doivent évoluer pour favoriser des appels d’offres qui la soutienne. Des villes pionnières ont préempté des terrains pour installer un maraicher bio et fournir la cuisine centrale. Ces exemples montrent que les écoles peuvent être motrices de transformations.
“Proposer le récit d’une sobriété adaptée aux transformations climatiques et écologiques”
QUI DOIT PORTER CES TRANSFORMATIONS ?
C.D. : Avant d’entrer dans un processus d’institutionnalisation, des initiatives pionnières doivent se multiplier. Gandhi disait « montrer l’exemple n’est pas la meilleure façon de convaincre, c’est la seule ». Espérons que des démarches militantes qui permettent aux élèves d’évoluer au milieu du vivant, de s’ouvrir au monde autrement que par l’abstraction deviennent un véritable phénomène culturel qui bouscule l’Éducation nationale. C’est ce que font les enseignants qui devancent les programmes. Ces initiatives sont soutenues par des productions culturelles qui les valorisent et participent à leur diffusion.
Aujourd’hui, l’école correspond à un récit du passé, celui du progrès technologique qui prépare les élèves à s’adapter à une société du passé. Dans sa structuration physique, son insertion territoriale, le partage avec les autres espèces vivantes, une autre façon d’enseigner, une école d’avenir doit proposer le récit d’une sobriété adaptée aux transformations climatiques et écologiques.
QUELLE FORMATION À L’ÉCO-CITOYENNETÉ ?
C.D. : Il faudrait d’abord repenser la notion même de citoyenneté. Apprendre aux enfants à pratiquer la démocratie, trop souvent cantonnée au vote, en étant parties prenantes des grandes décisions de l’établissement. Cela suppose de l’esprit critique, la capacité de confronter son point de vue, de délibérer, de participer à des décisions collectives. Et puis mettre les élèves au contact de la nature et du monde vivant car l’éthologue Jane Goodall rappelle qu’« on protège ce qu’on aime et on aime ce qu’on connait »…
Si l’école laisse les plus jeunes entre quatre murs pendant 15 ans, comment peuvent-ils développer une relation empathique au monde du vivant qui les pousse à le protéger ? Dans les « forest schools », les apprentissages de la maternelle se font in situ avec les arbres, les animaux, la pluie. Et ça change tout pour sortir de la « crise de sensibilité », cette indifférence à la déforestation, à l’annihilation du vivant dans les océans, à la destruction des sols par le labour et les pesticides.