Les sans-voix parlent de l'école
Mis à jour le 20.01.23
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Itv de Marie-Aleth Grard, présidente d'ATD Quart Monde : "L'égale dignité des invisibles"
“Les parents ont des idées sur l’école et des propositions pour qu’elle n’oublie personne”
Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde, auteure de « L’égale dignité des invisibles. Quand les sans-voix parlent de l’école. » Le Bord de l’eau, éd. Quart Monde 2022
Pourquoi donner la parole aux "sans-voix" ?
Dans notre système scolaire obligatoire, de la maternelle au collège, trois millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté et parmi eux 1,6 million vit dans la grande pauvreté. Leurs familles cumulent les précarités avec des problèmes d’accès aux droits fondamentaux comme l’emploi, la santé ou le logement. Les enfants sont pris dans un déterminisme social où l’échec scolaire se reproduit. Il nous a semblé important de donner la parole à des parents militants d’ATD Quart Monde pour montrer la réalité de leur situation et qu’ils ont des idées sur l’école et des propositions pour qu’elle n’oublie personne. Ils ont décidé de se faire entendre pour faire bouger les choses en allant chercher d’autres parents mais aussi en participant à des temps de réflexion communs avec des enseignantes et enseignants.
Quelles sont les répercussions à l'école des conditions de vie des enfants en situation de grande pauvreté ?
Les personnels enseignants se retrouvent face à des enfants qui ont des réactions ou des réponses qui peuvent les dérouter. On ne réagit pas de la même manière quand on vit dans la grande pauvreté, lorsqu’il n’y a pas d’espace à soi pour faire ses devoirs, les bonnes affaires de sport... Dès le plus jeune âge, les enfants ressentent qu’ils sont différents et que le regard des autres l’est aussi. Ils sont pris dans un conflit de loyauté entre l’envie de suivre ce que propose l’école et l’impression de trahir leurs parents s’ils rentrent dans les apprentissages. Le Covid a particulièrement touché ces familles, qui, pour beaucoup sont restées enfermées, car porteuses de maladies chroniques. Cela a eu des répercussions notamment chez les très jeunes enfants avec des problèmes de propreté, de socialisation, de langage, qui n’existaient pas avant dans ces proportions. La continuité pédagogique a été très compliquée. À la précarité du logement et de l’équipement informatique s’ajoutait un sentiment d’illégitimité pour « faire la classe » avec l’angoisse du décalage avec les autres élèves.
Certains témoignages concernant l'école sont durs. Qu'en pensez-vous ?
Certains témoignages peuvent être violents, mais il n’y a aucune volonté de montrer du doigt les enseignantes et enseignants. Les militants dressent un constat. Dans le même temps, ils montrent qu’on peut avancer et donnent des pistes pour faire bouger les choses. Par exemple, la nécessité de plus de discussions sur l’orientation de leurs enfants pour qu’ils aient accès à des études plus longues. Ce sont des parents qui croient en l’école et comptent sur elle pour que leurs enfants aient une vie meilleure. Ils sont à l’opposé de la vision de parents démissionnaires ou éloignés de l’école même si parfois ils ont peur de s’y rendre.
La rencontre avec un ou une enseignante peut-elle être décisive ?
On peut avoir la chance, ou pas, de rencontrer un ou une enseignante qui sera décisive. Mais en fait tous les enseignants peuvent débloquer la situation. Pour cela, il faut agir des deux côtés car il y a une méconnaissance réciproque. Cela passe notamment par une formation des PE. Avoir des connaissances sur la grande pauvreté, des exemples de ce que ces parents vivent au quotidien peuvent éclairer sur la situation de ces enfants. Ces temps permettraient aussi de mutualiser les expériences. Le travail en équipe est primordial, notamment pour s’interroger sur comment rencontrer toutes les familles. Des questionnaires auprès des parents en leur demandant ce qu’ils savent sur les apprentissages de leurs enfants à l’école, des entretiens avec tous les parents en début d’année autour des facilités et des difficultés de leur enfant sont des leviers pour rencontrer toutes les familles. Ces rencontres contribuent à les mettre en sécurité vis-à-vis de l’école avec laquelle ils ont parfois eu des expériences douloureuses. Cela demande du temps et des moyens de la part de l’institution.