Pisa : prendre les inégalités à bras le corps

Mis à jour le 04.02.20

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Marie Duru-Bellat analyse les résultats de la France à la dernière enquête PISA.

La France reste en milieu de tableau de la dernière enquête Pisa* qui évalue les résultats des élèves de 15 ans dans 79 pays. Avec une forte corrélation entre les résultats et les origines sociales.

Marie Duru-Bellat, professeure émérite de sociologie à Sciences Po.

Marie Duru-Bellat

Comment se place la France dans la dernière étude Pisa ?

Marie Duru-Bellat : La France se place, comme dans les années antérieures, dans la moyenne Pisa entre le 15e et 21e rang mais personne de sérieux ne peut se focaliser sur la moyenne des 79 pays car on y trouve des pays en développement comme le Kosovo ou le Vietnam. Il est plus pertinent de s’intéresser à l’évolution des résultats des élèves français : leurs résultats se stabilisent, à 493 points en français par exemple – c’était 496 en 2009 – ce qui les situe au niveau de l’Allemagne ou de la Belgique. Quant aux résultats en mathématiques, qui chutaient depuis plusieurs années, ils se stabilisent aussi, à 495 points. En revanche, ce qui n’évolue pas, c’est la forte proportion d’élèves en grande difficulté. Ainsi 20% peinent à saisir l’idée principale d’un texte et en extraire des informations simples.

Des spécificités françaises ?

m.d-b. : Les élèves français ont tendance à ne pas répondre aux questions de l’enquête quand ils ne sont pas sûrs. Une autre constante, c’est qu’ils se plaignent du climat de classe et du bruit. C’est un ressenti, car lorsqu’on visite d’autres pays, où, plus souvent, le travail de groupes est encouragé, le volume sonore est supérieur au nôtre mais personne ne s’en plaint. Ils se sentent aussi peu soutenus par les enseignants mais les insuffisances de la formation n’aident pas ces derniers à gérer les relations avec les élèves, leurs difficultés et l’hétérogénéité des classes. Cela peut les pousser à une approche très didactique, techniciste, qui risque d’ailleurs de s’accentuer encore avec la montée en puissance des neurosciences. Autre spécificité française : la forte corrélation entre les résultats des élèves et leur origine sociale. L’écart de résultats entre les élèves de familles favorisées et défavorisées est de 107 points contre 88,4 dans la moyenne de l’OCDE.

Comment expliquer cette corrélation ?

m.d-b. : Cela peut surprendre car la France consacre un budget important à la lutte contre les inégalités scolaires. Nous avons une maternelle de qualité, des moyens sont mis dans les réseaux d’éducation prioritaire. Mais le seul fait que l’on fasse redoubler les élèves faibles en France fait baisser mécaniquement nos performances car Pisa évalue les élèves de 15 ans. La majorité sont en seconde et d’autres en 3e. Si l’on ne prend que les élèves « à l’heure », les jeunes Français sont très bons. C’est encore plus vrai avec les élèves « en avance » qui ont des résultats à plus de 600 points, au niveau des pays de tête, alors que les élèves de 15 ans qui sont en 3e sont à 400. De même, le fait de ségréguer ceux les plus en difficulté dans les mêmes établissements et de les orienter vers des filières moins prestigieuses tend à faire baisser le niveau de ces élèves. Leur estime de soi est entamée, on n’est pas dans une dynamique positive. De plus, il y a comme un fatalisme en France par rapport à ces inégalités. Dès l’Inspé, on explique aux futurs professeurs le poids des origines sociales et des « handicaps culturels » comme s’il était inévitable que l’école reproduise les inégalités de la société.

“Le fait de ségréguer les élèves les plus en difficulté tend à faire baisser leur niveau et le niveau moyen.”

Des pistes d’amélioration ?

m.d-b. : Il faut prendre à bras le corps ces inégalités, à la racine. Elles n’apparaissent pas à 15 ans. Il faut accentuer les politiques de lutte contre les inégalités précoces, avec les dispositifs « moins de 3 ans », le dédoublement des classes mais sans surcharger les autres effectifs. La formation pédagogique des enseignants est également déterminante. La linguiste Élisabeth Bautier, par exemple, montre bien tout le travail à faire pour lever les implicites. Il faut également poursuivre les efforts pour parvenir à davantage de mixité dans les établissements, mais en partenariat avec les familles. Cela ne se décrète pas avec désinvolture ! Enfin, il faut profiter de l’enquête Pisa pour se montrer curieux de ce que font les autres pays et se poser la question : « Quel système éducatif voulons-nous ? »
* sur www.oecd.org/pisa-fr

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