Poésie en immersion
Mis à jour le 23.05.21
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Reportage au Fresne-Camilly (Calvados) dans le quotidien poétique d'une calsse
La poésie, c’est au quotidien pour les élèves de CE1/CE2 de la classe de Valérie Vendrin à l’école primaire du Fresne-Camilly (Calvados)
C’est dans la campagne caennaise à l’école du Fresne-Camilly, petite école primaire de 5 classes qui profite de l’essor démographique périurbain, que Valérie Vendrin a posé son cartable il y a quelques années. Depuis, elle tire des fils entre ses élèves et les œuvres. Du fil d’Ariane en début d’année à celui dʼAlbane Gellé, auteur, marraine des photo-poèmes de École en poésie, dans le cadre du printemps des poètes 2021, au fil de la grande lessive… elle offre aux élèves ce que la poésie, le théâtre, les œuvres ont de meilleur à donner.
Aujourd’hui comme chaque mardi matin, après avoir emprunté des escaliers poétiques en hommage à Pef qui va prochainement donner son nom à l’école, le rituel de la classe commence avec Radio Agora par une écoute théâtrale « Mamamé » de Fabien Arca, carte postale sonore produite par Emmanuelle Soler et la Fête des écritures théâtrales jeunesse. Carte postale enregistrée par une classe, comme le feront très prochainement les élèves de Valérie avec « Aussi loin que la lune » de Sylvain Levey.
Le thème de l’année, confinement oblige, ce sont les voyages. Le Vendée-Globe suivi avec passion, qui a permis de travailler la géographie, les paysages, la faune pour ces enfants qui ont un attrait particulier avec la mer… mais aussi le voyage dans l’espace de Thomas Pesquet. Ces voyages rejoignent l’univers de poésie qui habite la classe. Cette poésie qui ouvre des espaces de liberté mais structure aussi par le développement du vocabulaire et de champs lexicaux qui s’enrichissent. Du Petit Prince à Prévert, en passant par les constellations de Miro qui serviront de base au cadeau « Pour la fête des gens qu’on aime » : les couleurs crépusculaires, un œil, une lune, « des fils pour aller d’une planète à l’autre » explique Emma , « se relier pour ne pas se perdre » dit aussi Lucien.
Chuchotis poétiques
Ce matin, un exercice particulier et nouveau emmène la classe en salle de motricité. Emma et Paul ont choisi un poème de Prévert « Soyez polis », hymne à la nature, au monde, à l’Homme… 16 vers ont été sélectionnés. Chaque élève de CE1 se disperse dans la salle, s’arrête et ferme les yeux. Son binôme de CE2 vient lui chuchoter son vers à l’oreille, virevolte, s’éloigne, et chuchote de plus loin, puis se rapproche et recommence un peu plus fort. Un ballet, des vers adressés, des oreilles attentives. Ces paroles qui se mêlent de plus en plus fort puis se taisent dans un bruissement. Et puis on inverse bien sûr. Prendre possession de la poésie, physiquement, par tous les sens, la ressentir. « L’idée est de ne pas réciter mais d’apprendre par imprégnation. Chacun et chacune n’a qu’un vers mais au final les élèves connaissent le poème par cœur. Il s’agit aussi de bien dire, d’être fluide, d’apprendre à modifier les intensités. Il y a aussi l’entraide et un travail d’écoute collectif » explique l’enseignante. En cercle, débriefing des ressentis. « J’ai ressenti une douceur » dit Harri surpris. « C’est bizarre, il faut repérer la voix du copain et en même temps on entend tous les autres » s’étonne Louis. « Il y avait le mot chaleur et j’avais l’impression d’être sur du sable chaud » explique Lou-Ann. La séance se termine quand chacun prend sa place dans le cercle et que le poème tourne au gré des émotions.
Plaisir d'enfance
C’est de l’enfance que semble venir cette passion des mots, de ses grands-parents enseignants aussi. Après quelques années d’enseignement, Valérie passe 10 ans au service éducatif des Archives départementales du Calvados. Mais c’est son passage à l’OCCE 14, et des activités résolument tournées vers la poésie, qui l’ont nourrie et poussée à aller encore plus loin. « Je n’écris pas moi-même mais à l’OCCE j’ai découvert beaucoup d’approches créatives et diversifiées ». C’est d’ailleurs par la poésie qu’elle a gardé le lien avec ses élèves pendant le confinement « Les élèves devaient trouver ou écrire des poésies, les lire aux parents le soir dans le noir, puis me téléphoner pour me le faire partager. Après nous avons organisé un circuit d’appels pour offrir ces poèmes à l’oreille d’un camarade ».
Après le réveil du matin, la sieste poétique nous retrouve tranquillement allongés à savourer les propositions de l’association « L’écrit du son » et un autre texte de Albane Gellé. Certains et certaines s’endormiraient. Nourris, repus des mots des autres. « Je travaille peu l’écriture avec eux, mais cette poésie quotidienne vise avant tout une ouverture culturelle vers le monde, et devenir citoyen de ce monde », raconte Valérie.
« Qu’avez-vous aimé dans votre journée ? » demande l’enseignante dans l’après-midi. Le travail en binôme de ce matin est plébiscité et une BIP se met en place. La Brigade d’intervention poétique, proposition du printemps des poètes où des auteurs viennent eux-mêmes lire leurs textes, a pris racine dans la classe.
À la récréation, elle interviendra pour interpréter « Soyez polis » devant la classe de CP/CE1 de Pierre Drancey qui jouxte celle de Valérie. Elle se retrouvera au moment de la sortie à la barrière de l’école pour régaler les parents.
"L'idée est de ne pas réciter mais d'apprendre par imprégnation"
Yvanne Chenouf est spécialiste de littérature jeunesse, ancienne chercheuse à l’INRP et membre de AFL, association française pour la lecture
Qu'apporte la poésie aux élèves ?
D’abord un infini plaisir, une écoute attentive doublée d’un désir de faire et de montrer. Par son évidence, la poésie stimule les plus intimidés : très jeune, un enfant peut aussi bien vouloir se mesurer à un poète disparu qu’à son voisin de table. Par ses drôles d’assemblages, elle donne l’audace de refuser les propos réductifs et répétitifs et de faire grandir une langue à soi aux sourds accords avec les langues du monde. Partage du subjectif, elle est aussi artisane de collectif.
Quel plus dans sa pratique de classe ?
Entre autres choses, la poésie met en alerte sur la langue (ou les langues) pratiquée(s), elle invite à s’intéresser aux façons de dire. En tentant de choisir le mot juste, les enfants se heurtent à la consistance du langage : sa rigueur, sa résistance. Pour donner forme à leurs propres impressions, nommer l’innommé en eux, ils doivent ruser, passer entre l’attendu et le sous-entendu, remonter aux sources de la parole et, en disant leur appartenance sensorielle au monde, ils acquièrent une conscience du verbe.
Quelles pistes pour se lancer ?
Être lecteur et lectrice de toutes les formes de poésie, des rimailleries à l’avant-garde, en lire et en écouter en classe à tout bout de champ. Ouvrir des chantiers en « piratant » les poètes, écrire comme et contre eux en veillant à la disposition des mots sur la page, à leur transmission : la poésie est faite pour les yeux et les oreilles. Mais surtout traquer l’erreurÊtre lecteur et lectrice de toutes les formes de poésie, des rimailleries à l’avant-garde, en lire et en écouter en classe à tout bout de champ. Ouvrir des chantiers en « piratant » les poètes, écrire comme et contre eux en veillant à la disposition des mots sur la page, à leur transmission : la poésie est faite pour les yeux et les oreilles. Mais surtout traquer l’erreur (d’orthographe, de syntaxe) comme une étoile dans la nuit : c’est des trébuchements de la langue que peuvent naître de nouveaux équilibres.