Sortir la tête de l'eau

Mis à jour le 14.01.22

5 min de lecture

Au programme et obligatoire, l’enseignement de la natation reste pourtant inégalitaire.

NATATION : SORTIR LA TÊTE DE L’EAU

Inscrit au programme et donc obligatoire, l’enseignement de la natation reste pourtant inégalitaire. Aujourd’hui, le ministère le réduit à un enjeu sécuritaire, mais savoir nager, c’est bien plus que cela tant sur le plan physique et sportif que sur celui de nombreux autres apprentissages. 

En novembre, le Conseil supérieur de l’éducation a rebaptisé l’attestation « savoir nager » en « savoir nager en sécurité ». C’est la seconde fois en moins de six mois que le ministère de l’Éducation nationale intervient sur l’enseignement de la natation. En juin, dans une circulaire, il classait cette pratique enseignée aux enfants en tant que « savoir fondamental ». Mais si son objectif est de valoriser l’expérimentation « aisance aquatique » en cours depuis 2019, il priorise la dimension sécuritaire du rapport des inspections générales de 2019 « Pour une stratégie globale de lutte contre les noyades ». Le point commun entre ces textes est qu’ils mettent la focale sur la sécurité des élèves, mais semblent laisser de côté bien d’autres enjeux liés à cet enseignement.

Des pistes pour réduire les inégalités

Selon le socle commun, l’apprentissage de la natation doit contribuer à permettre « à tous les élèves, filles et garçons ensemble et à égalité, a fortiori les plus éloignés de la pratique physique et sportive, de partager des règles, d’assumer des rôles et des responsabilités et d’apprendre à entretenir sa santé par une activité physique régulière ». En ce sens, les programmes introduisent la dimension de réduction des inégalités, tous les élèves n’arrivant pas à l’école avec le même capital culturel et sportif. Avoir été bébé nageur, être allé ou non à la mer, avoir ou non des parents nageurs, facilitent ou non sa capacité à construire dans l’eau un nouveau rapport équilibre/respiration/propulsion, dans le cadre scolaire. Par ailleurs, les PE ont la possibilité en classe de réinvestir le travail réalisé à la piscine en invitant les élèves à connaître les critères de réussite et à discuter l’acceptation des règles, à revenir sur l’action au cours d’une activité réflexive à l’oral et/ou à l’écrit, à délimiter des cadres pour progresser et « accepter l’autre avec ses différences, développer l’estime de soi et regarder avec bienveillance la prestation de camarades ». Cet apprentissage peut aussi donner sens à des notions mathématiques en figurant les progrès sous forme de graphique. En sciences, en travaillant respiration ou flottaison. 

FsC 479 Décryptage natation

Un enseignement à assurer partout

Si sur le papier tout semble aller, dans les faits, l’école est loin de pouvoir assurer partout cet enseignement auquel tous les enfants ont droit. Quand elle le peut, ce n’est peut-être pas toujours avec les mêmes niveaux de compétence. Plusieurs paramètres peuvent expliquer ces disparités, à commencer par la formation initiale des PE. Cette dernière est monopolisée par le lire-écrire-compter, laissant un créneau de seulement 36 heures pour l’ensemble de l’EPS. Quant à la formation continue, elle reste quasi-inexistante. Le SNEP et le SNUipp-FSU demandent d’ailleurs « une formation des PE de 3 jours minimum centrée sur un apprentissage moderne ». Autre facteur d’inégalités, l’approche différente entre PE et MNS (Maître nageur sauveteur). Et puis il y a aussi l’effet territoire qui s’avère discriminant. Même s’il ne faut pas généraliser, il existe un déficit d’équipements en zones rurales, péri-urbaines et dans les quartiers de la politique de la ville. Certaines écoles ne disposent pas du tout de piscine. D’autres en sont trop éloignées, ce qui occasionne des temps de transport chronophages assez dissuasifs. Pour que tous les enfants apprennent à nager, il faut pourtant qu’ils aillent à la piscine. Une Lapalissade qui a toujours du mal à se concrétiser. 

ALAIN CATTEAU Docteur en didactique et professeur d’EPS agrégé

FsC 479 Natation Alain Catteau

Quels enjeux liés à l'apprentissage de la natation?

Les enjeux sont ceux de l’apprentissage scolaire. C’est à l’école d’assurer cet enseignement, pas aux familles. C’est un enjeu démocratique, celui d’un accès de tous les élèves. L’enjeu sécuritaire n’est pas à esquiver, mais pas suffisant. L’objectif n’est pas seulement d’apprendre à se sortir de l’eau, mais d’apprendre à y rester. Savoir nager est aussi un passeport qui doit permettre d’accéder à d’autres activités aquatiques et nautiques. Une première étape significative d’apprentissage, véritable épreuve pour l’élève, est décisive : en grande profondeur, s’abandonner à l’eau, sans bouée ni brassards qui empêchent l’apprentissage visé : la construction du « corps flottant ».

Quelles difficultés pour les PE ? 

Une difficulté institutionnelle d’abord : c’est le conflit de territoire entre MNS et PE, la piscine ou la classe. Les MNS se considèrent parfois seuls compétents et imposent leurs façons de faire. Faute de formation didactique et pédagogique appropriée, les PE délèguent et intériorisent souvent un sentiment d’incompétence, d’autant plus que l’enseignement de la natation est peu valorisé par la hiérarchie. Les MNS enseignent la natation à de très nombreux groupes, les professeurs d’école ont la responsabilité d’enseigner des matières différentes à un seul groupe, ils développent ainsi une connaissance multidimensionnelle des enfants, atout pour conduire en confiance un enseignement en piscine. Mais l’enseignant doit avoir acquis un savoir nager fondamental et les connaissances didactiques pour guider efficacement les apprentissages des élèves, leurs réussites, conditions pour se donner confiance. Le regard que l’enseignant porte sur sa compétence et sur l’activité qu’il enseigne est important.

Comment les dépasser ? 

Avec des formations communes MNS-enseignants s’appuyant sur des pratiques pédagogiques concrètes débouchant sur des projets d’intervention communs. Une volonté politique locale, permettant à tous les enfants d’apprendre à nager avant le passage au collège doit s’affirmer dans les discours mais surtout dans les actions concrètes. Il s’agit d’un véritable défi à relever par l’ensemble des acteurs, élèves, parents, PE, MNS et élus locaux.

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