EVARS, une nécessité, des outils pour répondre
Mis à jour le 29.11.24
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C’est en des termes empruntés aux organisations les plus réactionnaires qu’Alexandre Portier, ministre délégué à la réussite scolaire, s’attaque au projet de programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), en passe d’être présentés au prochain CSE. Après de premiers éléments pour décrypter les infox sur le sujet, la FSU-SNUipp met à disposition de la profession des ressources pour comprendre ce qu'est l’Evars, pouvoir se lancer dans sa mise en œuvre et communiquer avec les parents sereinement.
Le projet de programme d’EVARS rédigé après consultation des organisations syndicales mais également d’associations, a déjà fait l’objet d’une première présentation en commission spécialisée (commission préalable au CSE). Ce projet comporte une réelle avancée pour les élèves et les enseignant·es. Progressif et spiralaire, il permet de répondre aux interrogations des élèves, de faciliter leur construction mais aussi de prévenir les violences sexuelles.
Depuis plusieurs mois, des associations proches de l’extrême droite ont multiplié les attaques contre ce programme pour empêcher sa mise en œuvre, les médias Bolloré allant jusqu’à créer une panique morale sur le sujet. Le ministre délégué a validé ces fake news pour alimenter la polémique dans une réponse au Sénat, en précisant qu’en l’état “les programmes n’étaient pas acceptables”. Il aura fallu attendre plusieurs heures avant que la ministre Genetet démente les propos de son ministre délégué et affirme entre autres que “la théorie du genre” n’existe pas.
Cette séquence aura permis de montrer les divergences de fond du gouvernement qui cède aux sirènes de l’extrême droite.
La FSU-SNUipp rappelle qu’il est urgent que ce programme se mette en place, que les enseignant·es puissent bénéficier d’une formation solide mais également une protection face aux possibles oppositions réactionnaires de certains parents. Cela passe par une communication accrue sur la réalité du programme d’EVARS.
Trois champs à explorer
L’éducation à la sexualité recouvre de nombreuses notions à aborder tout au long de la scolarité. La faire vivre n’est pas si simple.
« À ce niveau d’âge, il ne s’agit pas d’une éducation explicite à la sexualité », indique la circulaire du 12 septembre 2018. Mais alors, de quoi s’agit-il ?
L’éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle (EVARS) recouvre des savoirs à l’intersection de trois champs d’enseignement : un champ biologique (reproduction des êtres vivants, différences morphologiques, description et identification des changements du corps, étude et respect du corps), un champ psycho-émotionnel (respect de soi et des autres, intimité et respect de la vie privée) et un champ juridique et social (égalité fille-garçon, prévention des violences sexistes et sexuelles, droit à la sécurité et à la protection, prévention des mésusages des outils numériques et des réseaux sociaux).
Autant d’éléments des programmes qui relèvent de l’enseignement scientifique, moral et civique, artistique mais aussi de l’éducation physique et sportive ou encore de l’étude de la littérature jeunesse.
Les PE peuvent aussi se saisir des opportunités qu’offre la vie de classe pour enseigner l’EVARS. Trois séances annuelles a minima sont à réaliser dès le CP. Afin d’éviter toute incompréhension, les modalités d’application sont présentées au conseil d’école et portées à la connaissance des parents d’élèves lors des réunions d’information de rentrée. Mais, parce qu’ils relèvent souvent de l’intime, aborder ces sujets avec les familles et les élèves peut sembler délicat. Le projet de programmes, tel qu’il est actuellement proposé, permettra aux équipes de mettre en place ces séquences.
Interview d’Elise Devieilhe : "Enjeu d'égalité et d'émancipation"
ÉLISE DEVIEILHE, DOCTEURE EN SOCIOLOGIE, FORMATRICE À L’ASSOCIATION ÉPICÈNE, TRADUCTRICE D’UN MANUEL D’ÉDUCATION À LA VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE : « LE LIVRE LE PLUS IMPORTANT DU MONDE » PARU EN 2023.
Quels sujets aborder dans l'éducation à la sexualité ?
L’éducation à la vie affective et sexuelle est à la fois une transmission d’informations et un encouragement à la réflexion critique sur les représentations, les idées reçues ou les rapports de pouvoir. En primaire, sauf à répondre aux interrogations des enfants, on aborde peu les pratiques sexuelles, on parle surtout du corps et des relations affectives. Comment construit-on une relation amicale ou amoureuse ? Comment les stéréotypes de genre et les rôles assignés nous limitent-ils ? En anatomie, on peut choisir de souligner plutôt nos similitudes : en comparant par exemple le fonctionnement du pénis avec celui du clitoris. De même, il est important de déconstruire le tabou et la honte autour du sang menstruel en parlant des règles à tout le monde, pas simplement aux filles.
Comment l'école peut-elle avancer ?
Évidemment, il faut donner les moyens pour accompagner des circulaires que l’on ne sait pas mettre en œuvre par un soutien institutionnel relatif. En formant les personnels, en proposant des ressources actuellement réduites - en particulier pour la tranche des 8-13 ans - en inscrivant l’EAS dans l’emploi du temps, nous pourrions sortir d’une dépendance de volontés personnelles et ouvrir à un possible continuum solide. Je pense aussi qu’il faut sortir d’une pédagogie de la tolérance. L’École a tendance à encourager les personnes conformes aux normes, à « tolérer » les minorités, c’est-à-dire à s’octroyer le droit de les « autoriser » à exister, loin d’un rapport de respect mutuel égalitaire. Il s’agit d’une part de basculer vers une pédagogie inclusive et d’autre part vers une pédagogie critique des normes.
"Interroger les valeurs normatives intégrées est un travail minutieux et une habitude à prendre"
Qu'entendez-vous par ces pédagogies ?
La pédagogie inclusive vise l’égalité, elle consiste à ne pas s’adresser qu’aux personnes « conformes aux normes », à faire en sorte que personne ne se sente invisible ou anormal. Présenter, par exemple, une pluralité des familles dans la littérature jeunesse en sortant de la famille nucléaire « un papa, une maman ». Éviter aussi de considérer une relation fille-garçon comme systématiquement amoureuse par nos taquineries. Il s’agit de sortir de perspectives hétéronormées actant l’hétérosexualité comme une norme supérieure à suivre. Éviter de considérer que la catégorie de sexe assignée à la naissance correspond automatiquement à l’identité de genre ou de rester dans une vision du monde du point de vue masculin. Cette pédagogie s’appuie sur un langage démasculinisé, qui inclut les femmes et les non-binaires, et fait en sorte de représenter les êtres humains dans leur diversité. Interroger les valeurs normatives intégrées, dont beaucoup sont oppressives et que l’école participe à reproduire, est un travail minutieux et une habitude à prendre. La pédagogie critique des normes vise l’émancipation en soulignant les rapports de pouvoir entre « norme » et « hors-norme » pour les déconstruire. Il s’agit ainsi de travailler la question des inégalités, des discriminations, de leurs conséquences. Interroger par exemple la présomption d’hétérosexualité qui oblige « les autres » à un coming out, une exigence d’annonce sans réciprocité.
En quoi cette éducation peut-elle participer à réduire les VSS ?
Les violences faites aux femmes et aux enfants relèvent non pas de criminels marginaux mais d’une tragique normalité. Les violences patriarcales sont systémiques, prennent source dans les rôles de genre, empreints de culture du viol ou de l’inceste. Il est donc essentiel de les travailler. De même, construire et favoriser l’empathie vise à éviter la déshumanisation de l’autre et prévenir les agressions d’une manière générale. Enfin, la question de l’intégrité physique et du consentement progresse. Nous sommes passés du « qui ne dit mot consent » à « quand c’est non, c’est non », puis à la possibilité d’un consentement qui ne soit pas une absence de « non » mais un « oui » exprimant le désir. C’est une base mais ce consentement reste inégalitaire puisque demandé par les hommes aux femmes dans des conditions où des pressions perdurent. Nous pourrions ambitionner la libre participation active et enthousiaste de tous les partenaires ! Réfléchir de manière critique sur les normes de genre favorise le développement de futurs adultes basé sur un respect mutuel, libéré de pouvoirs de domination. Cela dépasse une simple transmission de connaissances, il y a bien un enjeu d’égalité et d’émancipation.