Etat de l'école

Mis à jour le 02.09.22

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Itv de Philippe Meirieu qui analyse la situation actuelle de l'école

                                                        “Les humains ne se fabriquent pas comme des objets”

Philippe Meirieu est chercheur, militant de la pédagogie et professeur honoraire à l’université Lumière-Lyon-II. Il a publié en 2021 « Dictionnaire inattendu de pédagogie » (ESF Ed.). Son dernier ouvrage, paru an août, est un livre d’entretiens avec Abdennour Bidar « Grandir en humanité -Libres propos sur l’école et l’éducation » (Ed. Autrement).

FsC 484 Philippe Meirieu©DR

Quelles sont les causes de la crise d'attractivité de la profession ? 

Elle s’inscrit dans un contexte général de crise des métiers de la relation. L’idéologie néolibérale leur a imposé, en effet, le paradigme de « l’efficacité », avec une « obligation de résultats » purement quantitative et un contrôle technocratique sur la base de procédures homogènes. Or, c’est incompatible avec des professions où l’on affronte quotidiennement des situations complexes et où l’on doit faire preuve, en permanence, de patience et d’inventivité. Les humains ne se fabriquent pas comme des objets : ce sont des êtres libres avec qui l’on chemine et cette aventure ne peut être enfermée dans aucune « grille », aussi sophistiquée soit-elle. S’ajoute à cela, pour l’enseignement, une formation initiale sabordée et une formation continue sinistrée, une gestion autoritariste des relations avec les personnes et les organisations professionnelles, et une reconnaissance salariale dramatiquement basse au regard du coût de la vie et des difficultés de logement. Mais tout cela converge : il y a eu, de la part du pouvoir, un vrai dédain pour celles et ceux qui ont en main l’avenir de nos enfants et notre avenir commun. Comment s’étonner, alors, que le métier perde son sens ?

A-t-on besoin d'autonomie dans les écoles ? 

Oui, les enseignants ont besoin d’une véritable liberté pédagogique et les équipes ont besoin de pouvoir porter librement des projets collectifs. Mais, on peut concevoir l’autonomie comme une manière d’encourager le travail des équipes dans un service public solidaire, piloté au niveau national par la volonté de mettre en œuvre un égal droit d’accès à l’éducation… ou bien la concevoir comme une façon de stimuler la concurrence entre des directeurs et directrices d’école qui cherchent à recruter les collègues jugés les plus efficaces (ou plus conformes à la « pédagogie officielle »). Cette autonomie-là est catastrophique car elle creuse les écarts et encourage des formes plus ou moins avouées de séparatisme scolaire.

"L'école du futur", -généralisation de l'expérimentation marseillaise - va-t-elle creuser ou résorber les inégalités ? 

Nous assistons là à un dévoiement du projet constitutif de l’éducation prioritaire. Il ne s’agit plus de « donner plus et mieux à ceux qui ont moins », il s’agit de « donner plus à ceux qui prétendent faire déjà mieux et savent le faire savoir ». On passe donc d’une aide des écoles et des territoires en fonction de leurs besoins réels à une aide en fonction de la capacité de quelques personnes à exhiber des « projets innovants ». Résultat : on ne lutte plus contre les inégalités, mais on risque de les accroître. Quand il faudrait donner aux plus défavorisés les moyens de mieux lutter contre l’échec scolaire, on favorise les plus débrouillards qui ont déjà pu prendre des initiatives et qui savent les « vendre » à l’institution. Et quand cela s’accompagne d’un accroissement du pouvoir du directeur au détriment du collectif, il y a fort à parier que le service public évolue vers une juxtaposition de start-up scolaires en concurrence les unes avec les autres.

En quoi la poursuite de la centration sur les "fondamentaux" ne répond pas aux enjeux de la démocratie ? 

Tout dépend de ce que l’on entend par « fondamentaux ». S’il s’agit de savoirs purement procéduraux, d’habiletés comportementales dans les seuls domaines de la lecture et du calcul, dont la maîtrise relève de l’obéissance aux normes scolaires, il est clair que leur acquisition est subordonnée à la découverte préalable du sens des savoirs… ce qui les réserve, de fait, à celles et ceux qui ont trouvé leur panoplie de bon élève au pied de leur berceau. Les véritables fondamentaux renvoient, en réalité, à la construction d’un rapport aux savoirs qui intègre l’accès au plaisir d’apprendre, l’intériorisation de l’exigence de justesse, de précision et de vérité, la capacité à formaliser et transférer ce que l’on apprend. Et à cela toutes les disciplines peuvent et doivent contribuer.

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