Évaluations : comment ? Pour quoi ?

Mis à jour le 17.06.19

6 min de lecture

Quel est le but réel des évaluations nationales, revenues en 2018-2019 dans les classes ?

L’année scolaire 2018-2019 aura vu la généralisation des évaluations nationales standardisées pour les CP et les CE1. Après l’annonce de la mesure phare du gouvernement concernant l’éducation, à savoir le dédoublement pour 100 % de réussite au CP et les circulaires sur le français et les mathématiques parues au printemps 2018, ces évaluations s’inscrivent dans la logique du pilotage par les résultats voulu par Jean-Michel Blanquer. 

Déjà sous Darcos

C’est en 2008 que le ministre Xavier Darcos avait balayé les évaluations diagnostiques de CE2 et 6e pour les remplacer par des évaluations nationales en CE1 et CM2 d’un nouveau type. Ces évaluations standardisées et destinées à mesurer les acquis de tous les élèves ont suscité une polémique sans précédent jusqu’en 2012. Elles sont alors toutes abandonnées n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité sur les résultats des élèves. L’évaluation des apprentissages des élèves est une pratique inscrite dans le quotidien de la classe. C’est ce qui permet à l’enseignant de valoriser les réussites, de comprendre les difficultés... et d’adapter son enseignement aux besoins des élèves pour leur permettre de progresser. à côté de cette évaluation formative, depuis de nombreuses années la Depp évalue le système scolaire à partir d’échantillons d’élèves (évaluations CEDRE). Le Cnesco organisme indépendant, qui va disparaître dans sa forme actuelle, évalue les politiques éducatives et formule des recommandations. Enfin plusieurs évaluations internationales sur échantillon (PISA, PIRLS, TIMMS) donnent aussi de nombreux indicateurs.

Mais à quoi servent-elles ?

Le SNUipp-FSU et nombre de PE ont remis en cause la pertinence d’évaluations chronophages peu adaptées aux élèves et à la réalité des classes. L’annonce prématurée des mauvais résultats par le ministre n’a fait alors que prouver qu’il ne s’agit pas d’aider les élèves et leurs maîtres et maîtresses mais bien de servir une communication et un pilotage par l’évaluation. Les résultats des évaluations de janvier en CP ont acté des progrès « spectaculaires » : en phonologie par exemple, de 23 % d’élèves en difficulté en octobre, on passe à 3,3 %. Belle découverte : à l’école, on apprend et on progresse. Étiqueter les élèves « en difficulté » en début d’année était abusif. Ce ne sont donc pas vraiment les résultats des élèves qui sont observés, mais ils permettent de déterminer arbitrairement des seuils en fonction des priorités que le ministre a lui-même fixées. Fixer des normes nationales est donc la première fonction des évaluations de CP et de CE1.

RAI... les risques d’une dérive

L’année d’évaluations se clôture par trois notes de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance qui livrent le rôle que le ministre entend faire jouer aux évaluations nationales. Il s’agit de mettre en place un dispositif qui s’inscrit dans une stratégie appelée Réponse à l’intervention (RAI) qui vient des États-Unis via le Québec. Elle promeut une individualisation de la prise en charge pédagogique qui permettrait d’adapter l’intensité et la nature des remédiations aux réponses des élèves. La proposition pourrait apparaître positive mais se base sur des normes nationales et sans se soucier des causes des difficultés des élèves. Elle entraînera du tri, un étiquetage précoce, une réduction des apprentissages à ce qui est évalué et évaluable et une scolarité stressante pour les élèves.

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ECLAIRAGE

goigoux

Trois questions à Roland Goigoux,
Professeur des universités (Clermont-Ferrand) spécialiste dans l’enseignement de la lecture.

Le ministre fait-il mentir les chiffres ?

Non, le ministre ne triche pas. Il s’arrange avec les données et surtout il définit les seuils de manière à ce que les résultats soient acceptables et légitiment ses choix et ses préconisations pédagogiques, c’est à dire 100 % code, déchiffrage et fluence. Il ne veut pas que se développe une pédagogie de la compréhension en CP parce qu’il veut privilégier le déchiffrage. Alors il joue avec les seuils et minimise les difficultés des élèves à l’entrée du CP à comprendre les textes, avec seulement 10 % d’élèves en difficulté. On sait qu’en éducation prioritaire il y a des difficultés énormes sur le lexique et la compréhension de phrases mais dans le circulaire de rentrée c’est lexique et grammaire…

En quoi ces tests sont-ils contestables ?

Ce sont des tests de psychologues pour des enfants plus âgés en passages individuels et leur usage en collectif en début d’année a été catastrophique. Ce qui intéresse le ministre, ce sont les prédicteurs de la réussite, c’est très différent de la culture de l’évaluation à l’école qui est d’évaluer ce qui a été enseigné en classe. Beaucoup de compétences fortement enseignées ne sont pas évaluées. Les tests étaient mal adaptés avec des compétences trop complexes et pas au programme. En plus, les évaluations ne sont pas assorties de dispositifs de remédiation dignes de ce nom. Les exercices de remédiation sont analogues aux tests.

Quels sont les risques pour l’enseignement ?

Le danger c’est le bachotage. Préparer les élèves à réussir les épreuves en travaillant des habiletés ciblées et en n’inférant pas ces habiletés dans des cadres plus complexes. Cela valorise une pédagogie modulaire : on travaille des petites habiletés de manière isolée au détriment des activités complexes dont on sait qu’elles vont faire défaut. Différer la compréhension est une vision étapiste contestable. Les tests attirent l’attention des maîtres sur des habiletés et font passer à la trappe des pans entiers des apprentissages : production d’écrits, compréhension et les disciplines autres que le français et les maths. Cette compétence capitale qu’est le vocabulaire ça se travaille avec la langue écrite, à partir de textes écrits... rien à voir avec le 100 % déchiffrage du guide orange. On pointe les enfants en difficulté mais on ne donne pas les bonnes stratégies. Il y a un hiatus entre le CSEN (Conseil scientifique de l’Éducation Nationale) et la réalité du terrain, la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire) et surtout beaucoup d’ignorance et d’incompétence.

Et ailleurs ? 

Ce sont les pays anglo-saxons qui se sont le plus engagés dans la culture de l’évaluation. Aux États-Unis, en l’absence de programmes fédéraux, depuis plus de trente ans, les évaluations exercent un fort contrôle sur les enseignantes et enseignants dont la rémunération et l’affectation peuvent dépendre des résultats. En Angleterre, dans le contexte de dérégulation de la carte scolaire, les protocoles standardisés participent d’une mise en concurrence des écoles. Cette pression indirecte favorise l’émergence de pratiques pédagogiques uniformisées, orientées vers l’amélioration des données chiffrées. Le Canada et particulière¬ment le Québec appliquent le modèle de planification RAI tant sur le plan des apprentissages que sur le plan comportemental, pour identifier les élèves qui ne font pas les progrès attendus. Cependant leurs résultats aux évaluations internationales TIMMS ou PISA diffèrent peu de ceux de la France. Et c’est une politique que certains pays, comme la Grande-Bretagne avec le mouvement « Children are more than test scores », abandonnent progressivement. D’autres pays, comme la Finlande, qui n’ont pas opté pour cette politique éducative, obtiennent de meilleurs résultats notamment en termes de réduction des inégalités scolaires.

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