L'école en crise...et après ?
Mis à jour le 02.06.20
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Le confinement a bousculé l'école et la question de ce qu'elle sera après est posée.
Jamais l’école contemporaine n’aura vécu pareille situation. Avec le confinement des élèves, il a fallu assurer une « continuité scolaire », ce qui ne coulait pas de source et a révélé de manière plus criante encore les inégalités scolaires. Alors que les cours reprennent progressivement dans un contexte d’inquiétude la question de ce que sera l’école d’après est posée.
Une situation « inédite », jamais vue même durant les deux guerres mondiales : tout ça a été dit et redit mais le surprenant n’est pas là. Dans un rapport datant de 2012*, le Haut conseil de la santé publique décrivait point par point la situation que vit le système éducatif aujourd’hui. Il y présentait, trois ans après la pandémie du H1N1, les résultats d’études sur l’impact de la fermeture des écoles sur la circulation du virus. Les autorités sanitaires ont décrit le scenario il y a huit ans, pourtant, l’Éducation nationale n’a pas semblé s’en souvenir. Elle n’a pas su non plus tirer les leçons des expériences déjà vécues, restant mal préparée face aux dangers environnementaux, climatiques, industriels (lire p. 18). Très vite, la nécessité d’assurer une continuité « pédagogique » a été mise en avant, mais l’absence d’objectifs définis en matière de poursuite des programmes a donné à tout ça des airs de grand cafouillage. Les dispositifs, les outils, la formation des PE, tout a semblé faire défaut.
La conscience professionnelle des enseignants
Comme souvent, enseignantes et enseignants ont dû faire preuve d’initiative, d’inventivité, pour ne pas couper le lien avec leurs élèves. Ils ont fait la preuve de leur conscience professionnelle et de leur sens des responsabilités. « Ben non, on n’était pas prêtes ! », reconnaissent les maîtresses des CP de l’école Pergaud Lapierre au Mans (Sarthe). Elles se sont réunies au lendemain de l’annonce, établissant un planning de quatre jours pour leurs élèves. « Cela nous a laissé le temps de penser à la suite », comme élaborer des contenus sur des Padlets. Mais ça n’a pas suffi, il a fallu joindre les parents, parfois au porte-à-porte, afin « de les rassurer, de leur dire que ça allait se faire… » Il fallait aussi s’assurer que chaque élève disposait d’un équipement numérique, ce qui était loin d’être le cas.
C’est ainsi qu’elles ont mis le doigt là où ça fait mal car, conséquence du confinement, l’ampleur des inégalités sociales et culturelles, ajoutées aux inégalités liées à la fracture numérique, a sauté à la figure de tous. La possibilité pour chaque élève de faire l’école à la maison n’est pas la même selon qu’il ait un ordinateur pour lui tout seul, qu’il faille le partager à plusieurs ou qu’il n’en dispose pas. Une pression accrue quand on ne manie pas avec aisance les usages du numérique, qu’on a du mal à manipuler les outils de l’école.
’’J’ai décidé de piocher dans tout ce qu’il y avait à faire et j’ai écrit un mail à la maîtresse pour lui dire que je ne faisais pas tout, n’étant pas enseignante’’
Des parents, pas des instits
Les inégalités se nichent aussi dans la capacité des parents à assurer le suivi du travail scolaire de leurs enfants dans ce contexte. Cette capacité obéit à des paramètres multiples : familles éloignées de la culture scolaire, parents débordés par l’ensemble des tâches à assumer à la maison… chacun a agi selon ses moyens. « J’ai décidé de piocher dans tout ce qu’il y avait à faire et j’ai écrit un mail à la maîtresse pour lui dire que je ne faisais pas tout, n’étant pas enseignante », raconte Carole, mère célibataire de deux enfants.
Aux personnes qui croyaient au miracle du numérique, l’expérience vécue ces dernières semaines a montré une chose essentielle : l’école à la maison ce n’est tout simplement pas l’école. « Les outils ne sont que des outils. Ils sont au service d’une pédagogie. Filmer un enseignant en train de faire un cours de 50 minutes, sans consigne aux élèves, sans activité à réaliser, sans pause, sans interactions possibles, n’est peut-être pas une très bonne idée », souligne André Tricot, professeur de psychologie cognitive.
Revenir à l’essentiel et lutter contre les inégalités
Le sociologue Bernard Lahire enfonce le clou. « L’école c’est plus que des manuels scolaires et des exercices écrits donnés à des enfants », dit-il. « Sans moyen d’organiser une véritable relation pédagogique, sans possibilité d’encadrer, de guider, de conseiller, de rappeler les consignes, de réagir en direct à ce que font les élèves, d’encourager, de motiver, de gratifier, de rappeler à l’ordre, il n’y a pas de miracle pédagogique possible », insiste-t-il. Bref, cette période de confinement aura permis de rappeler ce qu’est l’école, sa dimension sociale et sociétale, fournissant une opportunité, de penser l’école « d’après ». « La classe, c’est la construction du collectif », souligne le professeur en sciences de l’éducation Philippe Meirieu. « C’est le lieu de l’entraide et de coopération où l’on se découvre solidaire des autres ». L’école à la maison ce n’est tout simplement pas l’école car on ne peut y apprendre à plusieurs. Et si la crise du covid-19 permettait de revenir à l’essentiel, à une école dotée des moyens suffisants pour vraiment lutter contre toutes les inégalités ?