Langues régionales : Parlem en plural
Mis à jour le 25.05.21
min de lecture
L'enseignement en langue et culture régionale à l'école.
Renforcé par la loi, l’enseignement en langue et culture régionale a toute sa place à l’école publique. Mais le chemin est encore long pour une mise en place ambitieuse et égalitaire sur tout le territoire. Décryptage.
« C’est historique ! », tweete le 8 avril le député morbihannais Paul Molac, porteur de la proposition de loi. Les parlementaires viennent, en effet, de voter un texte instituant la protection patrimoniale et la promotion des langues régionales (LR) sur tout le territoire national. Côté éducation, la nouveauté réside dans la possibilité reconnue à chaque élève d’apprendre à lire et à écrire en langue régionale dans une école de la République à travers un enseignement en immersion. Jusqu’alors, seul un apprentissage bilingue, à mi-temps, pouvait être proposé dans le public. Plus controversée, une disposition instaure le paiement obligatoire d’un forfait scolaire versé par les communes à l’école privée immersive la plus proche à défaut d’offrir ce type d’enseignement dans l’école publique de leur territoire.
Une histoire mouvementée
Si le texte de loi peut être qualifié d’« historique », c’est que l’évolution des LR sur le territoire français à travers les siècles n’a rien d’un long fleuve tranquille. En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts institue la rédaction des actes officiels « en langage maternel français ». Malgré cette décision, en juin 1794, on ne parle exclusivement le français que dans 15 départements sur 83. Il faut la loi Falloux en 1850 pour décréter que « le français sera la seule langue en usage à l’école ». Un article, repris par Jules Ferry en 1881, incitera les « hussards noirs de la République », armés de leur baguette en bois, à partir à la chasse de la moindre parole en breton ou occitan lâchée dans une cour d’école. Cette tendance jacobine ne s’infléchit qu’en 1951 avec la loi Deixonne qui autorise de nouveau l’enseignement des LR à l’école. C’est dire la portée d’une loi qui offre au service public d’éducation une réponse supplémentaire avec l’enseignement immersif à la demande sociale croissante, jusqu’ici principalement couverte par le secteur privé.
Une mise en place complexe
En recul constant depuis deux siècles, les langues régionales ont évidemment besoin de l’école pour vivre. Mais le choix actuel fondé sur le volontariat des familles introduit de fait une mixité sociale inégale selon l’implantation des écoles, à l’encontre du fonctionnement habituel du service public d’éducation. ÉLargir l’offre du service public suppose aussi de recruter et former de nouveaux PE compétents dans un contexte général de désaffection du métier. Un recrutement qui devrait faire l’objet de dotation en postes spécifiques pour éviter la concurrence avec les postes français. Pour l’heure, coexistent l’enseignement bilingue (avec un ou deux professeurs sur des modèles divers), une immersion linguistique partielle avec l’enseignement de disciplines en langue régionale ou le modèle de l’enseignement des langues vivantes avec des créneaux distincts de quelques heures par semaine. Difficulté aussi du côté de la continuité des enseignements : si l’école a quelques moyens pour faire face, ceux-ci s’amenuisent dans le second degré, sans parler des formations universitaires. Enfin, la question cruciale de la pédagogie est posée et les débats didactiques ne sont pas tranchés même si tous les spécialistes s’accordent à reconnaître le bénéfice de la confrontation avec de nombreuses langues, y compris pour progresser dans sa langue maternelle.
* "Parlons pluriel" en catalan.
James Costa est maître de conférence à la Sorbonne, directeur adjoint du Lacito, laboratoire sur les langues et civilisations à tradition orale. Interview
A quoi sert l'apprentissage d'une langue régionale ?
C’est toujours piège de se demander à quoi ça sert. La question de l’utile est liée à ce que l’on entend par apprendre. L’apprentissage d’une langue régionale peut permettre de comprendre l’espace dans lequel on vit, qu’il s’agisse de géographie, de littérature ou de culture. Se représenter la topologie d’un lieu que la langue indique, la continuité d’un héritage qui ne s’est pas transmis familialement… Cela peut aussi être une ouverture vers d’autres espaces, d’autres langues. Évidemment c’est aussi un apprentissage qui permet d’exprimer une pensée, de comprendre la pensée d’autrui et qui peut procurer du plaisir.
Un enjeu socio-politique ?
En France, c’est surtout le français qui est un enjeu de politisation. L’interdiction des parlers régionaux, les langues des banlieues, l’écriture inclusive… Comme si l’on ne pouvait pas distinguer l’appartenance politique de l’appartenance culturelle. La question des langues régionales est souvent perçue comme un nationalisme. Or, les gens peuvent tout à fait vivre leur relation à la langue tout en s’impliquant dans la vie citoyenne du pays. Chaque contexte a ses propres enjeux. À Mayotte, en Nouvelle Calédonie ou dans les Antilles, la place donnée aux moyens de s’exprimer en créole, dans les langues kanak ou en mahorais interroge sur la participation possible à la vie politique de tous les citoyens. Pour le basque, dont le nombre de locuteurs reste élevé, c’est aussi une question de lien avec le Pays basque sud. Pour l’occitan, il s’agit d’avantage d’un enjeu historique, de mémoire d’une langue qui a été longtemps langue majoritaire. Il y a également un enjeu de pouvoir transmettre une langue régionale sans une considération péjorative, comme en témoigne la discrimination persistante faite à l’accent.
Quel avenir possible ?
La question est au pluriel… selon les contextes. Parfois l’avenir est symbolique et historique, parfois il y a un enjeu de participation citoyenne. Quelle reconnaissance donne-t-on à une population dont on ne reconnaît pas le moyen d’expression propre ?
Des co-officialités sont possibles, comme c’est demandé en Corse. Du côté de l’école, clairement, la question se situe aussi au niveau de l’ouverture au plurilinguisme dans une véritable stratégie d’éveil aux langues. Et à une réflexion sur les langues minoritaires, y compris aujourd’hui celle de l’immigration.
photo
De fortes disparités
En 2019, une journée d’études au Sénat* livrait un constat sans appel : l’enseignement des langues régionales se porte mal sur le territoire national. La situation des langues pouvant faire l’objet d’un enseignement en France métropolitaine selon le MEN - le breton, le francique, l’alsacien,
le basque, l’occitan,
le catalan et le corse -
se caractérise par des disparités importantes. Le breton, le corse et le basque résistent bien avec, en 2018, 18 337 élèves bretonnant•es, 67% d’écoles en pays basque proposant un enseignement bilingue ou immersif à titre expérimental et un élève sur quatre en bilingue en Corse. Viennent ensuite les langues régionales à la progression contrariée. Il en va ainsi du catalan et même de l’occitan, malgré ses quelques 100 000 élèves en filières bilingues. L’alsacien offre pour sa part un paysage contrasté avec un enseignement assimilé
à l’allemand standard,
à raison de trois heures hebdomadaires en primaire. D’autres langues comme le gallo, le francique ou le flamand occidental sont réduites à des expériences isolées. Quant aux 55 langues de l’outre-mer, bien que largement parlées dans les familles, très peu d’entre elles (créole, tahitien, wallisien, futunien et quatre langues kanak) disposent d’un enseignement dans le cadre de l’éducation nationale.