Quand la difficulté est scolaire
Mis à jour le 20.03.23
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Quelle prise en charge de la difficulté scolaire dans notre système éducatif ?
Le choix ministériel de faire intervenir les PE en collège en direction des « élèves en difficulté » réinterroge la prise en charge de la difficulté scolaire dans notre système éducatif.
Du redoublement dans la même classe au recours actuel à des personnels paramédicaux en dehors de l’école, la valse-hésitation des modalités de prise en charge de la difficulté scolaire a de quoi déconcerter. Depuis les années 50, l’institution scolaire apporte des réponses qui se sont pour la plupart avérées insatisfaisantes et même contre-productives. Le redoublement des années 60, qui partait du principe que la répétition était de nature à « faire entrer dans la tête » ce qui résistait aux apprentissages, fait maintenant figure d’exception dans le panel des solutions proposées aux élèves et à leur famille. La constitution de classes de niveau homogène, assumée dans les années 70, a elle aussi fait la preuve de son inefficacité et a contribué au creusement des inégalités (Marie Duru-Bellat 1997).
Quand l'aide sort de l'école
À partir des années 70, les GAPP (Groupe d’aide psycho-pédagogique de 1970 à 1990), devenus RASED en 1990, sont des dispositifs pleinement intégrés à l’école primaire. Accessibles pour la majorité des élèves, ils sont aussi un vrai soutien pour les enseignant•es. Constitués d’aides à dominantes pédagogique, rééducative et psychologique, ils « renouvellent le point de vue sur la difficulté mais aussi l’approche pédagogique et permettent de relancer la dynamique d’apprentissage, de développement », explique Jacques Bernardin du GFEN. Mais un virage est pris à la fin des années 2000 quand, rationalisation budgétaire oblige, les postes de RASED se raréfient. Les quinze dernières années ont été marquées par un recours de plus en plus important à des personnels para-médicaux (orthophonistes, psychomotricien•nes...). Ces professionnel•les, dans leur fonction de soin répondant à une pathologie identifiée, complètent le travail des PE. Ceux-ci, au sein de l’école, prennent en compte l’enfant dans sa position d’élève rencontrant des obstacles inhérents à tout apprentissage. La faiblesse des moyens alloués à l’école (personnels spécialisés, formation...) a pu contribuer à orienter les élèves en difficulté plutôt vers le soin que vers l’aide au sein de l’école. Le désengagement de l’État conduisant à cette « externalisation » fait alors peser sur les familles plutôt que sur l’école, la responsabilité de la remédiation scolaire.
D'autres pistes à explorer
L’expérience de plusieurs années du dispositif « Plus de maîtres que de classes » en réseau d’éducation prioritaire a fait naître des espoirs chez les enseignant•es. Ce dispositif, mis en place en 2013, progressivement remplacé par les CP à 12 dès 2017, a permis de porter un autre regard sur la difficulté scolaire en redonnant du pouvoir au collectif enseignant. La différenciation pédagogique, véritable gageure avec des effectifs chargés, devient alors possible et permet non seulement de prendre en charge mais surtout de prévenir la difficulté scolaire. Prometteur pour bon nombre d’enseignant•es qui en demandaient la généralisation, ce dispositif a été stoppé avant d’être évalué. Pierre Merle (2016), sociologue de l’éducation, rappelle que d’autres pistes sont encore ouvertes : les recherches scientifiques montrent aussi les effets positifs de la scolarisation à deux ans et des politiques de mixité sociale des établissements. Enfin, pour les élèves en difficulté scolaire, la réduction du nombre d’élèves par classe constitue une politique particulièrement efficace.
Florence Savournin est maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation université Toulouse Jean Jaurès.
Comment interpréter l'essor des aides extérieures à l'école ?
Cette évolution date d’une quinzaine d’années et la nature même de ces aides a changé. Nous sommes entrés dans un processus de médicalisation de la difficulté scolaire qui est maintenant interprétée en termes de troubles des apprentissages reposant sur des diagnostics médicaux (psychiatres, neurologues...). Tous les « dys » – dyslexie, dyscalculie, dysorthographie – constituent des « maladies de l’école ». Par exemple, pour les difficultés d’apprentissage de la lecture, le recours est maintenant massif, précoce et unique à des orthophonistes. On ne prend plus en compte, comme le faisaient les CMPP ou les RASED, l’enfant dans son environnement social, familial et scolaire.
Dans l'école inclusive, on distingue mal situation de handicap et difficulté scolaire...
On observe une forme de recouvrement de l’une par l’autre. Les troubles des apprentissages sont répertoriés, dans les classifications françaises et internationales, comme maladies voire comme maladies mentales. Cela souligne la banalisation de l’idée que les problématiques d’apprentissages scolaires doivent être confiées à des experts du médical et du paramédical. Le Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) fait souvent l’objet de traitements médicamenteux. On en oublie d’interroger les conditions culturelles et sociales de la vie de l’enfant tout comme les modalités de l’enseignement.
Comment l'école pourrait-elle se ré-emparer de cette question ?
On est allé beaucoup trop loin dans le sens du diagnostic médical, du repérage, de l’individualisation. Cette situation concourt à mettre les enseignants en dehors du coup, ils pensent eux-mêmes que ce n’est pas de leur ressort. Et quand ça l’est, ils sont enfermés dans une logique d’individualisation (PPS, PPRE, PAI...) avec le risque, quand elle se systématise, de provoquer pour l’enfant un vécu d’isolement, voire de stigmatisation. Je rappelle qu’enseigner est une pratique sociale qui ne relève pas d’une approche techniciste. Il faut transformer les pratiques dans la classe et l’école, redonner du sens au collectif dans les apprentissages, à la didactique, à la pédagogie. Les enseignants devraient être formés à la hauteur des enjeux.
Aider autrement
Dès sa création, la FSU-SNUipp a construit et popularisé un projet global pour l’école, les élèves et les enseignant·es. Permettre aux élèves de mieux apprendre suppose une transformation profonde d’un système éducatif qui contribue à générer de la difficulté scolaire et à accroître les inégalités. Cela passe par une amélioration des conditions de scolarisation des élèves et par une rupture avec les empilements de réformes rarement évaluées qui font perdre le sens du métier et alourdissent le travail des enseignant·es. Il s’agit de transformer le métier enseignant en dépassant l’équation «un maître, une classe» et de développer tous les leviers qui
permettent aux PE de se constituer en collectif de travail pour affronter toutes les problématiques d’une école vraiment inclusive, dont a difficulté scolaire et le handicap. Cela passe par une réduction du temps d’enseignement à 18 heures hebdomadaires tout en maintenant le même temps de classe pour les élèves et laisse la possibilité d’organiser les apprentissages différemment en fonction des réalités de chaque école et chaque classe (co-interventions, petits groupes...) et de renouveler les pratiques mais aussi de prévenir la difficulté scolaire et d’y remédier.