Réapprendre à vivre… ensemble
Mis à jour le 05.10.20
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Reportage dans l'Essonne où le débat philosophique est un incontournable du vivre ensemble
Vivre ensemble, débattre, devenir un citoyen, autant d’apprentissages qui ne se conçoivent que dans une relation physique aux autres.
La justice et la liberté sont les premiers sujets abordés par Stéphanie Castéra avec ses élèves de CE1 en cette rentrée bien particulière. À l’école élémentaire Jean Jaurès de Sainte-Geneviève-des-Bois dans l’Essonne, elle prépare des ateliers philosophiques pour ses collègues, parfois accueille les élèves des autres CE1 dédoublés de cette école de Rep aux 17 classes. Travailler ensemble, les enseignantes en ont l’habitude : mêmes manuels, mêmes méthodes, mêmes emplois du temps. « La philosophie appartient à l’éducation morale et civique mais c’est avant tout un important levier pour développer le langage oral », argumente Stéphanie. La première thématique autour de Platon et l’anneau de Gygès aura permis de mettre collectivement en place des règles de vie pour la classe. Aujourd’hui, il s’agit de poser la question « qu’est-ce que c’est qu’être libre ? ». Le débat permet de structurer la pensée, d’écouter l’autre, d’avoir son propre avis et surtout d’accepter de ne pas être d’accord. La participation aux ateliers est bénéfique. « L’an dernier, nous avons constaté un développement de l’argumentation, une meilleure écoute des autres et le respect du tour de parole. Même si les plus fragiles ont besoin d’abord d’être rassurés, presque tous au bout d’un moment prennent la parole et argumentent. Il faudrait commencer dès la maternelle ! ». La classe, le lieu de la parole libérée ? « Parfois à la maison, je ne dis rien parce que j’ai peur de me faire gronder », confie Jeanne*. « À l’école, on peut discuter avec d’autres copains », complète Ahmed*. Lors des débats philosophiques, on peut exprimer ses idées, ses ressentis, tous ensemble et sans jugement.
La philo confinée
« Pendant le confinement, le lien avec certaines familles s’est renforcé mais il y avait peu de retours sur le suivi scolaire. Nous avons pu travailler sur classroom mais les prises de parole étaient compliquées et les parents trop présents. Impossible de continuer les ateliers philosophiques. » déplore Stéphanie. Les adultes sont-ils plus libres que les enfants ? « Les parents ils font ce qu’ils veulent. Personne ne dit à papa d’aller se laver ! », s’insurge Kevin*. « Et si je veux partir maintenant et vous laisser, je peux le faire alors puisque je suis une adulte ? » interroge la maîtresse. « Non, tu es là pour nous faire apprendre. Il y a quand même des règles à respecter sinon on est hors-la-loi », affirme Kelly*. « Quand on a besoin, on appelle toujours maman. Elle est moins libre que papa », constate Djamila* avec une certaine lucidité. La liberté jusqu’à un certain point ont compris les enfants. Pour beaucoup, après ce confinement vécu dans des conditions parfois difficiles, la liberté équivaut à être seul. « Il va falloir aussi reprendre les habitudes du vivre ensemble qui ont été un peu perdues pendant cette longue période à la maison et réapprendre à s’écouter », conclut l’enseignante.
*Les prénoms ont été changés.