Réforme Choc des savoirs: interview

Mis à jour le 08.02.24

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interview de Pierre Merle, sociologue et spécialiste en éducation.

“Une accentuation de la ségrégation déjà existante”

Pierre Merle est sociologue et professeur émérite d’université. Il est spécialiste des questions scolaires et des politiques éducatives. Ses recherches portent notamment sur l’expérience de l’humiliation en classe, la démocratisation de l’enseignement, la ségrégation scolaire.

FsC 495 Pierre Merle

Quelle est votre analyse globale de la réforme dite du "Choc des savoirs" ? 

Gabriel Attal annonce des mesures qui vont à l’encontre des préconisations de l’OCDE* et de la recherche scientifique**. Là où ces dernières recommandent de favoriser la mixité sociale, Gabriel Attal répond par une accentuation de la ségrégation déjà existante. Pourtant, dans le classement Pisa*** 2022, la France fait partie des pays les plus inégalitaires. Aucune des mesures dont l’efficacité est prouvée n’est envisagée. Réduire le nombre d’élèves par classe, actuellement 20% au-dessus de la moyenne européenne au collège, permettrait pourtant de retrouver un climat de classe plus propice aux apprentissages. Sans connaissance du terrain, Gabriel Attal propose des mesures inadéquates qui éloigneront d’autant plus les élèves en difficulté. Il n’est pas question des inégalités de réussite selon l’origine sociale en France alors que c’est le problème principal de l’école.

Qu'est-ce qui est le plus marquant pour le primaire ? 

Répéter qu’il faut renforcer les fondamentaux ne produit aucun résultat positif. C’est en France que les élèves bénéficient du plus d’heures sur ces disciplines sans que les résultats soient satisfaisants. Il en est de même du redoublement. Les études ont montré son inefficacité à l’école primaire. Un élève redoublant son CP semble mieux réussir dans l’immédiat, mais décroche en CE1 et/ou CE2. L’enquête Pisa montre qu’un élève de 15 ans ayant déjà redoublé a un écart de 123 points par rapport à un non redoublant, soit 4 années de retard d’apprentissage. Ce discours conservateur apporte une solution individuelle à un problème structurel. La réussite scolaire ne dépend pas d’un élève en particulier, mais des conditions d’apprentissage tels que le nombre d’élèves par classe et les pédagogies mises en œuvre. Enfin, remettre en cause les cycles, par des objectifs annuels, ne peut produire que davantage de difficultés dès le primaire. Le gouvernement veut imposer un rythme de progression identique à tous les élèves alors même que dès 2 ans, les inégalités socio-économiques différencient leurs compétences lexicales, grammaticales et syntaxiques. De façon incohérente, Gabriel Attal critique une pseudo uniformité au collège pour justifier les groupes de niveau mais veut instaurer l’uniformité en primaire !

Quelle place est faite aux PE ? 

Il est paradoxal de vouloir renforcer l’autorité des professeurs tout en réduisant leur liberté pédagogique. Avoir des manuels labellisés est une idée qu’on retrouve dans l'enseignement catholique du 19e siècle et dans la Monarchie de juillet. Cette pratique n’est absolument pas républicaine. On ne fait pas confiance aux enseignants alors que ce sont eux qui connaissent leurs élèves et qui sont susceptibles d’adapter au mieux leur enseignement. Les manuels, comme les programmes, doivent être élaborés en coordination entre les chercheurs et les enseignants. La labellisation ministérielle des manuels sans prendre en compte l’expertise des professeurs et chercheurs délégitiment leurs compétences professionnelles.

Regrouper les collégiens par niveau, quels peuvent en être les effets ? 

Outre les difficultés organisationnelles liées à sa mise en œuvre, regrouper les élèves ainsi annule l'effet de pairs positif. Alors qu’il faudrait créer l’unité, le collège va devenir une « gare de triage ». Un élève n’entrera plus en 6e mais en 6e groupe faible, et se percevra comme « nul ». Commencer le collège dans ces conditions est forcément décourageant. Ce système de groupes évolutifs nécessitera des évaluations permanentes, engendrant un stress constant, tant pour les élèves que pour leurs parents. Ces comparaisons sociales forcées ascendantes réduisent l’estime de soi, indispensable à la réussite. Or l’école, comme tout lieu de vie, devrait être un lieu serein. Il existait déjà des ségrégations inter et intra établissements. Le ministre vient d’inventer la ségrégation intra-classe. Plus que de lutter contre les inégalités, ces groupes les accentuent.

*Organisation de coopération et de développement économiques
**Cette interview a été réalisée avant la nomination le 9 janvier 2024 de Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, comme Premier ministre.
***Programme international pour le suivi des acquis des élèves

Pour aller plus loin

Le ministère met en place une nouvelle politique éducative en matière d'enseignement des mathématiques. Refonte des programmes, "méthode Singapour", manuels labélisés...qu'en pense la profession et la recherche?

lors que les résultats Pisa montrent une tendance mondiale de chute des résultats des élèves et pointe le système scolaire français comme étant l'un des plus inégalitaire, le Rue de Grenelle persiste et signe. Le ministère porte une écoles encore plus ségrégative: l'analyse de la FSU-SNUipp.

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