"Rendre visible le travail invisible"

Mis à jour le 19.03.24

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Itv de Françoise Lantheaume, sociologue

Françoise Lantheaume est sociologue et professeure des universités émérite en sciences de l’Education (Lyon 2). Co-autrice de “Durer dans le métier d’enseignant. Regards franco-allemands”. Académia 2019

FsC 496 Francoise-Lantheaume©Mira-NAJA

« Rendre visible le travail invisible des PE pourrait améliorer la reconnaissance professionnelle »

Le métier enseignant a évolué, rupture ou continuum ?

Les deux. Continuum dans le métier, dans les gestes professionnels qui se transmettent et font l’identité enseignante mais aussi dans le sentiment du collectif, la relation forte à la pédagogie et aux savoirs. Rupture avec la mise en place, dans les années 80, d’une logique de projets et d’une différenciation des publics. Un tournant qui met l’accent sur l’autonomie des établissements où les enseignants ne participent pas à la définition des critères du bon travail. Ces politiques éducatives rompent avec l’idée d’un traitement égalitaire entre les écoles. À cela s’ajoute actuellement une augmentation de l’hétérogénéité du groupe professionnel avec le recours aux contractuels et l’arrivée de personnes en reconversion du privé ou d’autres secteurs de la fonction publique. Ainsi, tous les PE n’ont plus le même parcours, la même formation, ont des conceptions plus différenciées de la relation aux élèves, aux familles ou de la pédagogie. Et, les attentes des « convertis » - plus de temps disponible, d’autonomie et de sens – sont rarement satisfaites, leur idéalisation de la relation pédagogique est souvent déçue. Ils n’avaient pas imaginé qu’il y aurait tant de travail et de contraintes.

Quels effets ont les récentes politiques éducatives sur le métier ?

Les conditions de travail se sont dégradées et les enquêtes montrent des PE dans une situation de mal-être évident. Il y a une évolution continue vers une dépossession du groupe professionnel de son pouvoir d’agir sur son métier. Elle s’est accélérée ces dernières années, avec une coloration autoritariste de Jean-Michel Blanquer et une logique applicationniste qui conduit maintenant à vouloir prescrire les manuels, voire les gestes professionnels. Or, ce métier est complexe et subtil. Une connaissance fine de l'activité enseignante manque aux politiques qui, de plus, tournent le dos aux travaux de la recherche. La logique d’évaluation de plus en plus forte fait que les professionnels sont pris en étau entre des injonctions à amener les élèves à être de plus en plus « performants » et des moyens inadaptés. Tout cela entraîne une désorientation.

Comment rebondir ?

Le métier enseignant est un métier humain et avec des humains, qui oblige à penser son activité en fonction de l’environnement. Si, actuellement, le sens du métier est mis à rude épreuve et que l’épuisement guette les PE, ils ont cependant le plus souvent plaisir à faire ce métier et montrent un engagement professionnel très grand. Ils sont inventifs pour trouver des solutions adaptées à leurs élèves. Travailler collectivement peut être une ressource, mais certains collectifs fonctionnent sur un mode défensif, repliés sur eux-mêmes pour éviter le conflit ou le débat. Ils ont, dans ce cas, une activité appauvrie. Là où les PE se portent le mieux, c’est dans des collectifs ouverts où ils peuvent délibérer sur les façons de faire. Ainsi, une professionnalité se construit et évolue. Mais cela demande du temps et des espaces que l’institution devrait fournir dans le cadre d’une réelle formation continue notamment.

Comment "durer dans le métier" ? 

S’imposer des défis à relever peut y contribuer. Cela peut être des micro-défis comme modifier un outil pédagogique ou des projets plus ambitieux. Ces défis choisis intègrent les demandes institutionnelles en les adaptant aux réalités du travail. Cela permet de garder du sens dans son activité et d’avoir la main sur son travail. De même, un rapport critique et distancié aux injonctions et un regard critique sur ses propres pratiques contribuent à la satisfaction au travail. Mais, pour cela, il ne faut pas être épuisé et prendre soin de soi. C’est un métier où on peut vite s’oublier, ce qui se paie en termes de santé physique et mentale. Savoir « s’économiser » dans un quotidien très dense, s’accorder des mini pauses dans la journée pour souffler, prendre un peu de distance, ne pas toujours être dans l’interaction, sont une nécessité. Enfin, rendre visible le travail invisible des PE pourrait améliorer la reconnaissance professionnelle par le public, les familles, voire l’institution, et ne la limiterait pas entre pairs.

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