Fos-sur-mer, la ville enfumée

Mis à jour le 12.09.17

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En janvier dernier, trois chercheuses rendent publics les résultats d’une enquête de terrain menée avec la population de Fos-sur-mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône que sépare une des plus grosses zones industrielles d’Europe. Leur étude révèle que ces habitants souffrent davantage d’asthme, de diabète ou de cancer que la moyenne de la population française.

« 63 % de la population atteinte de maladies chroniques, deux fois plus de chance de développer un cancer, un taux de présence des asthmes cumulatifs chez l’adulte plus important qu’ailleurs ou encore un taux de prévalence des diabètes de tous types deux fois supérieur à la moyenne nationale ». Les conclusions de l’étude indépendante (FOS EPSEAL*) menée par des chercheuses françaises et américaine, sur la zone industrielle de FoS-sur-mer (ZIF) et de Port-Saint-Louis, publiée en janvier dernier ont connu un fort retentissement. Des résultats qui pour la première fois donnaient à voir un état de santé global d’une population à l’échelle d’un territoire et un procédé novateur en France puisque les chercheuses se sont appuyées sur des questionnaires et des entretiens qui ont permis de définir un panel représentatif de plus de 800 personnes.

«Certains jours des amis qui travaillent chez ESSO me conseillent de ne pas étendre mon linge dehors»

C’est au début des années 70 que la zone industrialo-portuaire de Fos a pris la place des plages et des marais. Raffineries, dépôts pétroliers, usines chimiques, métallurgiques, sidérurgiques, usines de traitement de déchets industriels et de déchets ménagers, cimenteries, terminaux méthaniers s’y côtoient. Cette implantation provoque un essor démographique multipliant par cinq la population. Au départ les ouvriers s’installent de manière précaire aux abords des usines, des écoles sont créées à la hâte. Et même si les aménageurs n’avaient pas prévu d’habitations si près du site, celles-ci se développent par la force des choses. Certains disent avec humour qu’ils sont passés directement « de la caravane … à la villa ». Aujourd’hui la ville de Fos-sur-mer compte 6 groupes scolaires, un collège et 16 000 habitants.

Répondre aux questions de la population

« Quand on a commencé à enquêter nous avons été sidérés par les questions qu’avaient les habitants sur leur état de santé et auxquelles les autorités ne pouvaient apporter aucune réponse simple », évoque Yolaine Ferrier, anthropologue et membre de l’équipe de recherche de l’étude. Une chape de silence qui conduit ces trois chercheuses, sociologues, anthropologues et épidémiologiste à proposer une enquête de terrain avec les habitants. Leur projet recueille l’engouement d’une population qui s’était parfois mobilisée contre le développement de la zone ou la présence de l’incinérateur des déchets ménagers de Marseille. Las d’obtenir des réponses évasives, ils avaient un peu mis de côté la question. La méthode des chercheuses qualifiées de « santé incarnée » repose sur des questionnaires de santé étayé par des diagnostics médicaux. Elle permet aux chercheuses de se prévaloir de résultats bien plus complets et vérifiables que la plupart des enquêtes de santé anonymes.

Du risque majeur au risque chronique

La première visite de Fos-sur-mer conduit à s’interroger sur ce qui pousse les gens à vivre ici. La présence du risque est frappante, le risque majeur d’abord avec l’ensemble des usines classées SEVESO mais également le risque chronique de pollution quand on observe les cheminées industrielles. « Il faut être né ici, pour vivre ici quand on voit les fumées de toutes les couleurs » admet Fabien Brugnelières ancien ouvrier qui travaillait aux arrêts de maintenance dans les usines. Aujourd’hui atteint d’une maladie grave qui le « ronge de l’intérieur » il attend une greffe de rein après celle du foie qu’il a eu en 2014. Un lien avec le taux de pollution ? Rien ne vient le prouver et il constate aussi que d’autres centres urbains lui semblent autant si ce n’est plus pollués que Fos. Une forme de déni que Johanne Luengo, enseignante sur la commune explique par le fait que « malgré tout il fait bon vivre à Fos ». Un mieux vivre attribué à un fort investissement de la commune sur l’accompagnement social, le développement d’infrastructures sportives et culturelles ou les aménagements ornementaux du centre-ville. « Dans les écoles nous bénéficions d’équipements importants, d’un budget correct et de la présence d’intervenants qualifiés. On est bien », ajoute l’enseignante.

«Dans les écoles nous bénéficions d’équipements importants, d’un budget correct et de la présence d’intervenants qualifiés. On est bien »

Pourtant la vie d’une école à proximité de ces usines a de quoi provoquer quelques frayeurs. « Pour le PPMS, on nous a dit que le confinement ne serait pas utile », confie une directrice, « le risque majeur pour nous étant l’explosion qui ferait de toute façon voler toutes les vitres en éclat ». Quant à la pollution de l’air, elle reçoit des alertes sur une application. Mais, dit-elle, « C’est souvent trop tard, sur des temps périscolaires où les enfants sont massivement dehors. Quand on le signale on n’obtient bien souvent qu’haussements d’épaules et sourires gênés ».
Plusieurs personnes évoquent cette poussière noire lorsqu’ils nettoient leur terrasse. « De la poussière d’alumine », précise Karina une autre enseignante, revenue s’installer ici et qui ne compte pas y rester. « Certains jours des amis qui travaillent chez ESSO me conseillent de ne pas étendre mon linge dehors », confie-t-elle.
« Un côté pile, un côté face » de la vie à Fos que les trois chercheuses ont pu repérer. « Des personnes sont dans le déni de l’asthme de leur enfant alors qu’il présente des toux sifflantes qui en sont un symptôme évident », note Yolaine Ferrier. Elle pointe aussi l’inconscience des pouvoirs publics qui implantent des terrains de football au bord de la ZIF.
Aujourd’hui, des associations les contactent et les pouvoirs publics semblent prendre au sérieux leur recherche financée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’ANSES).
« On savait qu’on allait mettre un pavé dans la mare mais on n’avait pas mesuré la longueur de l’onde », apprécie l’anthropologue. Une onde qui ne semble pas atteindre les pécheurs rencontrés sur la digue du petit port de plaisance de Fos. « Par vent du large on sent moins les odeurs des usines », note l’un d’eux.