A bloc sur les docs
Mis à jour le 24.05.24
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Reportage à Fontenilles : stratégies pour la lecture de documentaires
À l’école Génibrat de Fontenilles en Haute-Garonne, des élèves de CM1-CM2 apprennent des stratégies pour lire des textes documentaires.
« Aujourd’hui, nous allons apprendre à faire un parcours de lecture parmi des blocs ». Dans cette classe de CM1-CM2 de l’école Génibrat de Fontenilles en Haute-Garonne, les 24 élèves de Julie Camboulives ne semblent pas surpris par cette présentation. Ils ont déjà travaillé avec l’outil « lecture doc » sur des textes documentaires et peuvent rappeler rapidement ce que sont des blocs. « Dans un article, il y a plusieurs blocs. Dans chaque bloc, on trouve une information précise ». « Il y a souvent une image, un sous-titre et un texte ». Ce matin, ils ont devant les yeux une nouvelle page documentaire sur le cerveau. Le lexique spécifique « hémisphère », « spatialisation », « intonation », a été explicité en début de séance. Les élèves peuvent se focaliser sur la tâche demandée : retrouver parmi dix blocs se rapportant au cerveau, celui correspondant à un extrait lu : « Pour frapper dans un ballon, nous utilisons naturellement notre pied dominant ».
Sur la feuille distribuée, seuls le titre, l’introduction, les sous-titres et les images sont présents, les paragraphes ont été enlevés. « Le but est qu’ils survolent la page, écartent rapidement certains blocs, en retiennent d’autres et expliquent pourquoi », détaille Julie. Très vite, ils écartent les sous-titres « Intonation » ou « Usage des bons mots ». D’autres blocs demandent réflexion. « Le sous-titre « Quel est l’œil directeur ? » me fait penser à dominant, mais ça ne parle pas de la même chose », argumente Stella. Mahé propose le bloc avec « Du bon pied », « parce qu’il y a le mot pied comme dans l’extrait », quand Tabatha a choisi le même « parce qu’on voit un ballon et un pied sur l’image ». Une fois l’hypothèse validée par la lecture du paragraphe, les élèves mettent leurs stratégies à l’épreuve sur d’autres extraits.
Des progrès constatés
« Sur les premiers documents, certains essayaient d’avoir une lecture intégrale », se rappelle Julie. Désormais les progrès sont visibles et notamment pour les petits lecteurs. « Ils se sentent autorisés à ne pas tout lire, constate-t-elle. On leur donne même des stratégies à mettre en œuvre pour gagner du temps ». Sa collègue Florence Bourguignon, qui mène le même travail dans la classe d’à côté avec ses CM1-CM2, partage ce constat. Elles notent aussi des évolutions dans les exposés. « Pour les préparer, ils n’impriment plus des dizaines de pages sans se poser de questions », remarque Florence. « Certaines affiches ont un titre, des images légendées, des sous-titres organisés en blocs de sens ! », ajoute sa collègue
"Ils ne se sentent pas autorisés à ne pas tout lire"
Ce travail sur les textes documentaires est assez récent pour les deux enseignantes. « Lors d’une animation pédagogique sur les textes composites il y a deux ans, on s’est rendu compte que si on se servait souvent de documentaires en histoire, géographie ou sciences, on n’apprenait jamais aux élèves comment les lire, explique Florence. C’était complètement implicite ». Quand Sabrina Bencherif, la conseillère pédagogique leur a proposé d’essayer l’outil « lecture doc » dans le cadre des constellations, elles ont saisi l’occasion. « On ne savait pas trop comment s’y prendre, où trouver les bons documents. Ce travail nous a permis de préparer les séances ensemble, de nous lancer dans les classes et de nous observer mutuellement », se rappelle Julie. Et la réflexion s’est approfondie lors des retours en groupe avec Sabrina. « Pourquoi apporter des connaissances ou prendre le temps d’étudier le lexique en début de séance ? Quel lien avec la compréhension des documentaires ? ». « Toute seule, j’aurais été tentée d’aller plus vite, reconnaît Julie, alors que prendre ce temps est au service des apprentissages ».
Juliette Renaud est maîtresse de conférence en sciences de l’éducation et de la formation à l’université d’Orléans.
Pourquoi enseigner la lecture documentaire ?
Elle figure dans les programmes mais les enseignants ont du mal à la mettre en œuvre par manque d’outils et de formation. Les élèves rencontrent souvent des textes documentaires en histoire, géographie ou sciences mais les mettre au contact de ces textes ne suffit pas. Il faut des séances spécifiques d’apprentissage, sinon seuls les élèves qui, à la maison, sont guidés dans des recherches documentaires ou manipulent des encyclopédies en ligne sur des ordinateurs, maîtrisent ces compétences. Or, les enjeux sont importants. Savoir lire des documentaires, ce n’est pas qu’une stratégie de lecture en français, c’est aussi savoir lire pour comprendre, extraire des informations et construire des connaissances dans toutes les disciplines.
Quelles difficultés spécifiques à ce type de textes ?
Ils ne se lisent pas comme un roman. Extraire des informations est très difficile si l’élève s’y prend de manière linéaire. La présence de mots compliqués liés au lexique spécifique complexifie cette lecture. Ne sachant où trouver l’information, l’élève se fi e alors à ses connaissances personnelles plus ou moins exactes et abandonne la lecture. Enfin, aux habiletés nécessaires pour les documents papier, s’ajoutent lorsqu’ils sont numériques, la nécessité de dérouler la page pour avoir toutes les informations : c’est une charge cognitive supplémentaire. Et ce n’est pas parce que les élèves fréquentent des écrans depuis toujours qu’ils ont des stratégies efficaces.
Comment s'y prendre ?
Tout d’abord en apprenant à se repérer dans l’organisation du document, titres, paragraphes, sommaire, sous-titres, onglets et en apprenant la fonction de tous ces éléments pour avoir une stratégie de lecture efficace : survoler pour savoir où aller avant de lire en profondeur. En travaillant aussi spécifiquement le lexique nécessaire pour lever les difficultés et en s’entraînant à comprendre les mots inconnus dans leur contexte. Nous proposons une démarche en compréhension : « ce que je cherche, ce que je sélectionne, ce que j’en déduis», c’est-à-dire avoir une intention de lecture pour choisir de garder ou mettre de côté certaines informations puis faire des liens entre les différents éléments.
LECTURE DOC
Lire des encyclopédies papier, en ligne, prendre des notes ou faire des exposés, voici ce que propose « Lecture Doc » en 4 modules. Cet ouvrage, à paraître en octobre chez Retz, est à la fois didactique, méthodologique et pratique pour enseigner aux élèves de cycle 3 la lecture des textes documentaires. Dans la continuité des travaux de Roland Goigoux et Sylvie Cèbe sur la compréhension en lecture, Juliette Renaud a élaboré cet outil dans une démarche de conception continuée dans l’usage. Depuis sept ans, les prototypes se sont succédé, dans des allers-retours incessants avec des « co-concepteurs » : jusqu’à 120 PE en classe et conseillères et conseillers pédagogiques impliqués. Un travail collaboratif pour que cet outil soit utilisable directement mais permette aussi une auto-formation en rendant lisibles les principes didactiques indispensables à cet enseignement.
LIRE SUR ÉCRAN
Quelles sont les spécificités de la lecture numérique ? C’est la problématique traitée par Jean- François Rouet, directeur de recherche au CNRS pour la conférence de consensus sur la compréhension en lecture du Cnesco. Disponible sur CNESCO.FR