A Mayotte, l'école encore en sous-France

Mis à jour le 03.12.19

6 min de lecture

Où en est la scolarisation des moins de 3 ans à Mayotte ?

La promesse de scolariser les enfants de 3 ans n’est pas prête d’être tenue à Mayotte. Les 800 classes annoncées par le chef de l’État ne suffiront même pas à accueillir l’ensemble des enfants d’âge primaire.

Scolariser les enfants de 3 ans en France : la portée de cette mesure est assez mince dans un pays où plus de 98 % des filles et des garçons de cet âge vont déjà à l’école maternelle. Oui, mais il faut bien que les 2 % qui restent à la porte de l’école se nichent quelque part. On le sait, c’est dans les départements et régions d’Outre-mer (DROM), essentiellement à Mayotte et en Guyane, qu’on les trouve. Le taux de non scolarisation y est même assez vertigineux. Depuis la rentrée 2019 à Mayotte, selon Gilles Halbout le vice-recteur de l’île, à peine plus de 50 % de la cohorte de 2016 va à l’école. Et encore, le chiffre n’est pas très précis. « Moi, je connais le nombre d’élèves de trois ans inscrits, je peux vous le donner, 4524 », annonce Régine Vigier, la DASEN de l’île. Faut-il rappeler qu’entre 2015 et 2018, il était question de près de 10 000 naissances par ans ? En fait, le taux de scolarisation résulte d’une estimation prenant en compte ce que l’on sait du nombre de naissances à la maternité de Mamoudzou et du nombre supposé d’entrées de migrants clandestins sur le territoire. En annonçant cette mesure, Jean-Michel Blanquer avait avoué qu’il faudrait un certain temps pour la rendre effective dans les DROM, deux ou trois ans selon les prévisions les plus optimistes. À Mayotte, il y a loin de la coupe aux lèvres tant la pénurie de salles de classe est déjà grande. Le 22 octobre dernier, le président Macron est venu sur le territoire en plaçant son déplacement, non sans tactique politicienne, sous le signe de l’immigration clandestine. Mais il a aussi annoncé la création de neuf collèges, de deux cuisines centrales et de 800 classes de maternelle et d’élémentaire. Une enveloppe de 500 millions d’euros sur cinq ans, dont un quart est réservé au primaire, permettra de financer ce plan. Une annonce qui laisse perplexe Rivomalala Rakontondravelo, le secrétaire départemental de SNUipp-FSU Mayotte. « Les 800 salles de classes annoncées par le président de la République sous-estiment l’ampleur des besoins. », souligne-t-il. Et même si ça paraît beaucoup sur un territoire qui en compte à ce jour 2 200, c’est pourtant un chiffre a minima. Actuellement, 750 groupes classe sont accueillis en rotation dans 375 salles, il en faudrait autant pour en finir avec le système de rotation. De la même manière, 300 CP et CE1 dédoublés sont regroupés en binômes avec deux PE dans 150 salles. Il en manque autant pour les séparer. Enfin pour scolariser tous les autres enfants en âge d’aller à l’école, quelle que soit leur situation administrative, il manquerait encore au moins 300 classes selon le vice-rectorat. Autant dire que ce chiffre de 800 classes est déjà dépassé.
Selon le responsable syndical, il est surtout difficile à atteindre. La communauté éducative reste assez échaudée par un précédent, le plan annoncé par François Hollande de construire 100 classes par an durant son quinquennat. Une enveloppe de 20 millions d’euros avait été prévue à l’époque.

Les mairies à la peine

À l’arrivée, tout juste la moitié de cette somme a été dépensée avec à la clé seulement 120 classes construites sur les 500 promises. Le syndicat mixte d’investissement et d’aménagement de Mayotte (SMIAM) en charge du bâti scolaire à l’époque, n’avait pas fait le boulot sans qu’on sache où est vraiment passé l’argent. Sa dissolution a été prononcée après un avis sévère de la Chambre régionale des comptes dénonçant un grand nombre de dysfonctionnements. « D’autant plus que tout le monde sait que techniquement il leur est impossible de livrer 100 salles de classe par an », martèle le syndicaliste. Ce dernier évoque pêle mêle « le manque de matériaux, d’entreprises, de compétences nécessaires pour mener à bien un tel plan de construction. » Et si le vice-recteur assure que « le chef de l’État ayant indiqué que toutes les constructions devront être commencées ou terminées avant la fin du quinquennat, on devrait voir pousser des grues partout », le syndicaliste, lui, ironise : « encore faudrait-il qu’il y ait des grues. » Il faut aussi tenir compte des partenaires essentiels que sont les communes.
Ces dernières, qui bien souvent manquent de ressources en interne, bénéficieront d’un accompagnement de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) qui leur fournira toute l’ingénierie administrative et financière nécessaire à la maîtrise d’ouvrage. Mais encore faut-il qu’elles jouent le jeu et toutes ne le font pas, soit parce qu’elles traînent les pieds pour construire des écoles, soit parce qu’elles ne veulent pas inscrire les enfants de migrants. C’est du moins ce qui ressort de plusieurs témoignages. Contacté, le président de l’association des maires de Mayotte n’a pas donné suite à la demande d’entretien de Fenêtres sur cours. Dans l’école maternelle qu’il dirige à Sada, sur la côte ouest de Mayotte, Ali Abdillah observe tout ça avec circonspection. Lui aussi aimerait bien en finir avec le système de rotation et ses effectifs à 32 élèves par classe. Mais s’il reconnaît que tous les enfants mahorais vont à l’école, il admet qu’il n’en va pas de même partout pour ceux venus des Comores. « La plupart ne sont en effet pas scolarisés, qu’ils aient 3, 4, 5, 6, 7 ans ou même plus âgés. Ce qui pose un réel problème pour leur avenir car ces enfants sont à la rue avec un avenir compromis et les risques de délinquance pour la suite », observe-t-il. Et alors qu’on s’apprête à célébrer le 30e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, il reste beaucoup à faire en matière de droit à l’éducation dans le 101e département français…

Mayotte©solidarité laïque

Chiffres-clés

D’après La lettre de l’Insee du 2 octobre dernier, 9 600 enfants sont nés à Mayotte en 2018, les trois quarts d’une mère comorienne. Un nombre de naissances en légère baisse par rapport à 2017. Quatre habitations sur dix sont en tôle, bois ou terre et près d’un tiers des logements ne disposent pas de l’eau courante. Moins d’un tiers des personnes en âge de travailler occupent un emploi contre les deux tiers en métropole et seules 27 % des personnes de 15 ans ou plus sorties du système scolaire possèdent un diplôme qualifiant contre 72 % en métropole.

Focus

La Guyane aussi à la traîne. Seuls 70 % des enfants de 3 ans étaient scolarisés à cette rentrée, selon les propres chiffres du rectorat de Guyane. En cause là aussi, le manque de locaux disponibles. Alors qu’en 2017, suite au mouvement social qui avait embrasé le département, l’État s’était engagé à construire 500 salles de classe en dix ans, seules dix sont livrées chaque année. Résultat : des listes d’attente qui s’allongent, comme à Cayenne où près de 300 enfants de 3 ans frappent à la porte depuis la rentrée. D’après Alexandre Dechavanne, du SNUipp Guyane, « Cette mesure d’obligation scolaire à 3 ans décidée depuis Paris est tout simplement inapplicable en l’état dans le département. » Et si des écoles sont bien en chantier, on reste loin du compte pour rattraper les retards accumulés, sans parler de la hausse démographique qui se poursuit. Entre 2 et 3 000 enfants de 3 à 6 ans ne sont aujourd’hui toujours pas scolarisés.

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