Au revoir les Rep ?
Mis à jour le 23.03.21
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La politique nationale de l'EP est menacée par l'expérimentation de contrats locaux.
Mise en place en 1981 pour combattre les inégalités scolaires dans les territoires les plus pauvres, la politique nationale de l'EP est aujourd'hui menacée par l'expérimentation des contrats locaux d'accompagnement.
Quarante ans après sa création, la politique de l’éducation prioritaire (EP) va-elle passer à la trappe ? Soumis à un effet yoyo lié à une succession de réformes, ce dispositif national pourtant refondé en 2014 avec l’élaboration d’un référentiel, est aujourd’hui de nouveau menacé. L’expérimentation des contrats locaux d’accompagnement (CLA) lancée à la rentrée 2021 dans trois académies - et probablement généralisée par la suite à l’ensemble du territoire - pourrait, en effet, sonner le glas d’une stratégie éducative imaginée en 1981. Les zones d’éducation prioritaire (ZEP) avaient alors été créées pour corriger l’impact des inégalités sociales sur la scolarité des enfants vivant au sein de poches de pauvreté territorialisées. En plaçant les écoles et les territoires en situation de concurrence et en redistribuant les moyens qui leur sont affectés, les CLA, signés entre les rectorats, les établissements et les écoles, reposent sur une logique de contrats par objectifs dont la finalité est de se substituer à une politique d’envergure nationale. Le risque de sortir des critères nationaux, en particulier socio-économiques, est bien réel.
Pas d'évaluations sérieuses
Cette dérive, qui bat en brèche les apports de la refondation de l’EP en 2014, a fait naître un profond sentiment d’inquiétude et de colère chez les enseignantes et les enseignants, dont l’expérience de terrain a été négligée. Les personnels craignent la disparition pure et simple des Réseaux d’éducation prioritaire (REP). Une éventualité d’autant moins acceptable que les forces et les faiblesses des REP n’ont jamais fait l’objet d’évaluations sérieuses. Pourtant, cette politique publique de lutte contre les inégalités s’avère être la seule à ne pas avoir abouti à une aggravation des écarts - qui restent cependant importants - entre les élèves des territoires défavorisés et les autres. C’est ce que soulignait un rapport de la Cour des comptes en octobre 2018. De son côté, la FSU dénonçait le 28 janvier dernier, lors des États généraux de l’éducation, la tentative ministérielle de s’attaquer aux REP, en stigmatisant « un renoncement à la volonté politique d’une démocratisation des savoirs et de la culture commune ».
"En plaçant les écoles et les territoires en situation de concurrence et en redistribuant les moyens qui leur sont affectés,
les CLA, signés entre les rectorats, les établissements et les écoles, reposent sur une logiques de contrats par objectifs
dont la finalité est de se substituer à une politique d'envergure nationale"
Travailler ensemble
Sur le terrain, la mise en œuvre de la politique d’éducation prioritaire est un engagement quotidien et multiforme. Dans l’école Taos Amrouche de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’équipe pédagogique insiste sur la nécessité d’enseigner de façon explicite. Cet enjeu, première priorité du référentiel EP, s’avère primordial pour permettre aux élèves souvent éloignés des codes de l’école de vraiment comprendre le sens des savoirs enseignés. « Lever l’implicite permet d’éviter les malentendus d’apprentissage très courants dans nos écoles », témoigne la directrice, Catherine Da Silva.
À Lille (Nord), les enseignantes et enseignants de l’école Victor Duruy, située en REP +, misent avant tout sur le travail collectif, autre thème priorisé dans le référentiel. Ils et elles considèrent que réfléchir à plusieurs est un atout essentiel pour dépasser les difficultés que peuvent rencontrer l’école, les PE, les élèves ou les familles. « Travailler ensemble est une évidence et un besoin en éducation prioritaire », indique une enseignante de CM2. Cette approche permet de muscler les projets pédagogiques, mais elle est également efficace pour désamorcer les situations de violence ou faciliter la transition des élèves entre l’école primaire et le collège.
Démocratisation de l'école
La formation des PE au travail collectif est une clé centrale en partie reconnue par un temps libéré en REP +. Pour Marie Toullec-Théry, maîtresse de conférence en sciences de l’éducation, « travailler en équipe s’apprend ». « Une formation au niveau local de l’établissement engagerait, dans un cadre rassurant, les enseignants à un développement professionnel », souligne-t-elle. La mobilisation des enseignants et enseignantes d’EP prend également la forme d’un travail de fond mené auprès des familles, notamment en direction des parents les plus éloignés de la culture scolaire. Cet objectif de coopération avec les parents a d’ailleurs été formalisé sur le plan institutionnel en 1989.
Au-delà des outils développés pour conduire une politique efficace d’EP, la question de la démocratisation de l’école se pose avec toujours plus de force. Bernard Charlot, professeur émérite en sciences de l’éducation à Paris 8, souligne que « les politiques scolaires constituent seulement un volet d’une politique sociale, économique et culturelle. Elles ne peuvent fonctionner que si elles s’intègrent dans un projet global où la question de l’emploi, par exemple, est fondamentale ».
La concurrence est ouverte
« Nous souhaitons sortir de cette logique de zonage pour donner des moyens aux établissements en fonction de leur projet », déclarait Nathalie Elimas, secrétaire d’État à l’éducation prioritaire. Et en effet, l’expérimentation de contrats locaux d’accompagnement (CLA) en cours sur les académies de Lille, Marseille et Nantes, vise à attribuer des moyens en fonction de critères variables définis par chaque rectorat et dans une logique d’attribution par objectifs. La question des écoles orphelines et de la nécessité de prendre en compte les inégalités scolaires en milieu rural ne peuvent servir d’argument pour détruire une politique éducative de territoires. Alors que l’éducation prioritaire cible des quartiers cumulant paupérisation et processus ségrégatifs, en lien avec les politiques de la ville, les CLA placent les établissements et écoles dans une situation de concurrence et risquent de mettre celles actuellement en REP de côté.