Bouger ou apprendre

Mis à jour le 02.10.22

6 min de lecture

Activités Physiques Quotidiennes vs Education physique et sportive

Le ministère de l’Éducation nationale généralise les 30 minutes d’APQ par jour dans toutes les écoles. Et si on donnait les moyens aux PE d’enseigner les 3h d’EPS hebdomadaires ?

Après une année d’expérimentation, la circulaire du 27 juillet dernier généralise la pratique de l’Activité physique quotidienne (APQ) à l’ensemble des écoles primaires. La crise sanitaire a réduit le temps d’activité des enfants et accentué la sédentarité dénoncée par la fédération française de cardiologie, qui préconisait une heure d’activité physique suivant les recommandations de l’organisation mondiale de la santé. Le gouvernement inscrit les 30 minutes d’APQ « dans le cadre de la démarche École promotrice de santé qui fédère toute action éducative et tout projet pédagogique de promotion de la santé dans le projet d’école ». Pour le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, cette démarche participe du programme « Génération 2024 » et « favorise le développement des capacités motrices et des aptitudes physiques des enfants… ». 

APQ...un manque d'ambition 

Si l’idée de prévention et de bien-être développée sur le site du ministère paraît louable, sa mise en place et le flou qu’elle entretient dans les écoles et auprès des enseignants et enseignantes posent question. Il s’agirait donc de « bouger » selon la circulaire du 20 janvier dernier qui part du postulat imparable « qu’être en bonne santé est une condition préalable fondamentale pour bien apprendre ». Elle donne un cadre souple à sa mise en place : « Les formes que peuvent prendre les "30 minutes d’activité physique quotidienne" sont variées et doivent être adaptées au contexte de chaque école. Elles peuvent être fractionnées et combinées sur les différents temps scolaires (par exemple sous forme de pauses actives), mais aussi périscolaires. Les temps de récréation peuvent aussi être investis ». Un cadre suffisamment flou – comme l’est tout autant l’environnement concerné – pour semer la confusion et pour que corps enseignant, collectivités, clubs sportifs et intervenants extérieurs s’interrogent sur la place et les prérogatives de chacun dans ce grand « partenariat ». Un cadre qui, par ailleurs, renforce les inégalités territoriales.

EPS...un outil de connaissance de soi

Si les textes précisent que « l’activité physique quotidienne est à différencier de l’éducation physique et sportive (EPS), discipline d’enseignement obligatoire », cette conception de « l’activité physique » très hygiéniste – à l’école mais hors temps scolaire puisqu’en plus des 24h d’enseignement – est très éloignée des missions de l’école. L’ambition de l’EPS est pourtant tout autre et ne peut se résumer, comme le laisse entendre le ministère, à la pratique de divers sports. C’est une matière d’enseignement à part entière, la troisième en termes d’horaires. Pour Claire Pontais, agrégée d’EPS et ancienne formatrice à l’Inspe de Caen, « en milieu scolaire, l’EPS doit permettre à tous les élèves d’accéder, de manière critique, à une culture physique, sportive et artistique qui puisse être un outil de connaissance de soi, des autres et du monde ». La situation de l’EPS s’est beaucoup dégradée : diminution sans précédent des horaires de formation initiale, quasi suppression de la formation continue, disparition des missions EPS des conseillers pédagogiques au profit des maths et du français, fragilisation de l’USEP et manque d’équipements de proximité. Une revalorisation de la place de l’EPS à l’école est urgente : la contrainte du temps scolaire, cumulée à la pression sur les maths et le français, est telle que beaucoup d’enseignantes et enseignants seraient tentés de substituer l’APQ à l’EPS !

FsC 485 APQ vs EPS©Millerand-NAJA

PAUL BOUVARD est agrégé en éducation physique et CPD EPS 

Quelles difficultés dans la mise en place des 30 minutes ?  

Le premier obstacle est sur quel temps on fait ça car la grande difficulté est que cela ne vienne pas empiéter sur le temps d’éducation physique. Très rapidement, beaucoup d’enseignants se disent que cela va remplacer l’EPS. Il y a aussi des difficultés pour leur faire comprendre que l’enjeu n’est pas dans la substitution mais dans la complémentarité, dans le plus… mais de quoi exactement ? Il y a d’importants enjeux de santé publique et ce genre de dispositif a été développé un peu partout pour essayer de compenser la sédentarité mais ce n’est pas un enseignement. C’est une pratique qui peut être très bien mais la note de service précise qu’« une définition large de l’activité physique exercée sera acceptée ». Il faut faire très attention à tout ça. 

Cela répond-il à un enjeu de santé publique à l'école ?  

Au-delà des programmes, la question fondamentale est de lutter contre la sédentarité. Les rapports de l’ANSES* nous alertent sur ce grave phénomène de société : les enfants sont à l’arrêt et plus les catégories sociales sont défavorisées, plus les enfants sont immobiles et sédentaires. Cependant, le vrai enjeu n’est pas de faire bouger mais d’éduquer. À l’école, il faut construire la distinction entre sport et éducation physique. On propose souvent des modèles compétitifs, des jeux à élimination qui font que les enfants, à part les sportifs, n’ayant pas besoin de l’école pour se développer, ne s’y retrouvent pas et développent des formes d’incompétences.

Les PE sont-ils assez formés ?  

Il faudrait en formation initiale réfléchir au lien entre une action, une pensée, un langage à la maternelle et à l’élémentaire. Et aussi travailler sur les spécificités de l’éducation physique du premier degré. Aujourd’hui, elle est souvent pensée comme un mini décalque de celle du second degré mais les professeurs sont polyvalents et ne sont pas des spécialistes de l’éducation physique. À la sortie de l’Inspe, avec au mieux entre 12 et 24h de formation, ils se retrouvent en grande difficulté. Les PE ne se sentent pas en capacité d’enseigner l’éducation physique de manière régulière et sans les intervenants qui sont trop peu nombreux. Ils sont très démunis pour tenir ce pari des 3 heures d’EPS. Et on aura beau démultiplier les dispositifs… aisance aquatique ou savoir rouler… tant qu’il n’y aura pas de formation continue en EPS – au même titre que le plan français, maths, laïcité…, les enseignants ne se sentiront pas compétents pour les enseigner.
*Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

20 MESURES POUR APPRENDRE EN EPS 

Le SNUipp-FSU et le SNEP-FSU ont publié en septembre 2021 une brochure qui propose 20 mesures pour apprendre en EPS à l’école primaire, développer le sport scolaire et augmenter l’activité physique quotidienne. Partant du postulat que le rôle de l’école n’est pas seulement d’inciter à bouger mais bien d’éduquer à l’activité physique et sportive, apprentissages aussi fondamentaux que les autres, ils proposent ces mesures sur l’ensemble des temps de la vie de l’enfant. À l’école, assurer effectivement les 3h d’EPS inscrites au programme, développer le sport scolaire avec l’USEP ou aménager les cours de récréation. Sur le temps périscolaire, rendre active la pause méridienne et les temps de garderie ou sécuriser et aménager les abords de l’école. En famille, encourager les pratiques physiques et sportives ou rendre effectif le droit au sport. Parallèlement à cette publication les deux syndicats ont mené une enquête de terrain « Écoles vitaminées à l’EPS », qui bousculent certaines idées reçues et dessinent certaines pistes de travail peu explorées.

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