Créer n'est pas une chimère
Mis à jour le 22.01.23
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Reportage au Kremlin-Bicêtre : un atelier de conception en vue d’une exposition
Quand une classe de CM2 du Kremlin-Bicêtre devient un atelier de conception en vue d’une exposition à la Maison de la photographie Robert Doisneau (Val-de-Marne).
En entrant dans la classe d’Aurélie Dupuis, le bouillonnement de travail est saisissant. Ses 28 élèves de CM2 de l’école Charles Péguy du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) sont affairés à tracer, découper, coller, colorier librement. « Aujourd’hui, c’est un véritable « workshop » », confirme Gilberto Güiza-Rojas, l’un des deux photographes intervenant dans le cadre du projet « Photographie à l’école »proposé par la Maison de la photographie Robert Doisneau de Gentilly. Crépons, cartons, craies grasses, feutres, compas circulent. Inès découpe méticuleusement des plumes en papier de soie, Daniel colore son masque, Assia et Violeta se demandent quel papier utiliser pour leur déguisement de chimère... Les travaux manuels sont entrecoupés d’interrogations personnelles et de conseils par les pairs ou les adultes. « C’est bien qu’à un moment donné cela ne ressemble plus à une classe ordinaire », apprécie l’enseignante. Cette concentration et cette coopération sont soulignées par Aurélien Bouisse le directeur : « I’intérêt de fonctionner en projet est flagrant quand on passe devant la classe et que l’on constate l’implication et l’autonomie des élèves ». Pour Ayoub, un des costumiers en herbe, « passer du dessin au déguisement, c’est super ! ». C’est effectivement un des objets de cette journée consacrée à la finalisation du projet. Après avoir imaginé et rédigé la description d’une chimère, les élèves l’ont représentée sous forme de collages puis de costume en vue de réaliser des portraits-photos pour l’exposition. Des visites à la maison Doisneau ont étayé les références. Une occasion d’aborder le sujet du nu dans l’art. « Pas évident et donc intéressant à traiter », commente Matthias Warnet, autre enseignant de l’école participant régulièrement au projet et gardant ses habitudes de sorties culturelles.
Aborder la photographie
Les activités plastiques ont été ponctuées par un travail autour de la photographie. Projection et lecture d’images, prises de vue à partir d’une recherche d’éléments « animal » au sein de la classe... « l’idée est de donner du sens à l’image » explique Rafaël Serrano le second photographe associé au projet. Pour lui, il s’agit de « passer de la description au ressenti et à l’interprétation, travailler sur la conception, la production et la réception et faire écho à des références artistiques comme l’art brut ou des cultures populaires tels que les masques des Diablos de Yare du Vénézuela ». Les enfants ont été sensibilisés aux questions de cadrage, de lumière, de couleur, d’ombre mais aussi de point de vue. « L’image est forcément une intention » complète Gilberto. Les élèves sont ainsi amenés à exprimer leurs opinions, à dépasser les apparences pour percevoir la polysémie des images, les desseins de l’artiste et les effets lors de la réception.
Une forte attention à la création
Suite à des aléas dus au Covid, des séances d’ateliers ont été reportées et concentrées sur une journée. « Finalement, cela donne du temps au processus de création », note Aurélie. Elle avoue volontiers sa volonté de « décomplexer les aspects techniques » et son attachement à travailler avec des artistes pour « ouvrir sur le monde ». Un plaisir partagé par les élèves. Alice aime « inventer la chimère et tenir l’appareil photo », Selvin s’enthousiasme de « rencontrer des photographes », Manel raconte que « ce qui est bien, c’est que nous créons nous-mêmes et ça demande de l’imagination ». Ce lâcher-prise pédagogique exige à la fois un cadrage cohérent et une souplesse de l’enseignante. Le duo de photographes semble également convaincu de cette démarche. Pour Rafaël, « les activités plastiques sont une flexibilité nouvelle » qui lui permet de « s’amuser aussi ». De son côté, Gilberto estime que « c’est intéressant de construire un univers, d’évoluer avec les enfants dans un dispositif ouvert. Ne pas vouloir un costume parfait mais une recherche plastique expérimentale. » Les dernières griffes, ailes et cornes confectionnées, la classe passe à l’étape de la prise de vue. Incarner sa chimère selon les caractéristiques attribuées, orienter le flash ou cadrer l’appareil, autant de positionnements que les élèves expérimentent à tour de rôle évoluant de modèle à photographe en passant par assistant. « On sent une certaine magie à devenir un être fantastique », relate Rafaël. Cette journée d’effervescence se conclut par un visionnage commenté des clichés. Par la suite, la production écrite d’une fiche documentaire de chaque chimère, sur le modèle d’une page scientifique, permettra de nouvelles passerelles disciplinaires, avec l’objectif un peu espiègle de rendre crédible l’imaginaire. Pour l’aboutissement final, il faudra attendre le vernissage du 14 juin et l’exposition des photos à la maison Robert Doisneau. « Ce projet, c’est donner d’autres moyens d’expression, changer les regards en instaurant des partages de moments exceptionnels individuels et collectifs », conclut Aurélie, aussi ravie que ses élèves.
Claire Lemoine est responsable pédagogique de la Maison de la photographie Robert Doisneau
Quelles sont les visées du projet "photographie à l'école" ?
Si la prise de vue est une gestuelle qui s’apprend, l’image est un langage qui s’acquiert. Ce programme permet aux enfants de croiser pratique photographique et décryptage des clichés qu’ils créent pour mieux appréhender le flot d’images qui font désormais partie de leur quotidien.
Quelles particularités de l'art photographique ?
La photographie est aujourd’hui accessible à tous et toutes et omniprésente dans nos environnements. Nous invitons les enfants à avoir une pratique artistique de ce medium et à se rendre compte que c’est la vision et la démarche de l’artiste qui permettent de produire des images fortes et singulières susceptibles de toucher les gens et de raconter des choses.
Comment stimuler la créativité ?
À mon sens, les enfants sont plutôt curieux et créatifs mais ce que nous essayons de développer chez eux est leur capacité d’analyse et de réflexion autour de leurs pratiques créatives et de ce qui en ressort. Pourquoi et comment j’ai réalisé cette image ? Pourquoi et comment je peux la partager avec d’autres ? En ce sens, la finalisation du projet par une exposition collective à la Maison Doisneau et la publication d’un magazine est essentielle dans notre démarche.
AU PROGRAMME
Dans les programmes de l’école élémentaire, l’expérimentation est au cœur de la discipline : « l’enseignement des arts plastiques développe particulièrement le potentiel d’invention des élèves, au sein de situations ouvertes favorisant l’autonomie, l’initiative et le recul critique. » Les démarches de projet et de questionnement y sont privilégiées. Pour Émeline Reverdiau, conseillère pédagogique en arts plastiques du Val-de-Marne, il s’agit entre autres « de développer le langage esthétique et l’imaginaire, d’autoriser l’enfant à s’exprimer, de concert avec un étayage par des rencontres et références artistiques ». Selon elle, plus largement, l’art permet de « développer la singularité des personnes, ce qui fait de nous des êtres sensibles, capables d’avoir un avis éclairé et ouvert ».
RESSOURCES
« La photographie, reflet d’une vision d’un monde » propose des exemples de projets, des références d’artistes, des liens pour aborder l’aspect historique. Des pistes disponibles sur le site eduscol.education.fr De même, les enseignantes et enseignants désireux de mettre en place un projet autour de la photo peuvent s’inspirer des propositions du site de l’OCCE « Pratique de la photo à l’école ».