Écran total ou écran fatal

Mis à jour le 29.11.24

6 min de lecture

Entre émancipation et enfermement, les nouvelles technologies fascinent et inquiètent

Le rapport « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu » remis au président de la République par la commission Écrans le 30 avril dernier fait un tour d’horizon des multiples recherches sur le sujet. Si les effets négatifs d’une exposition excessive font consensus sur la santé, comme sur le sommeil et le poids, les conséquences sur la santé mentale, les troubles du neurodéveloppement et les apprentissages font davantage débat. Les membres de cette commission émettent des recommandations fortes sur leur utilisation, notamment en classe : « pas d’écrans en maternelle » et pas « d’équipements numériques individuels en élémentaire ».

EFFETS SUR LA SANTÉ

Sur la perturbation du sommeil, les recherches sont unanimes : « un sommeil dégradé quantitativement et qualitativement impacte la mémorisation, l’humeur, les capacités de concentration, d’attention et les fonctions exécutives », affirme le docteur Sylvie Dieu Osika, pédiatre et membre fondatrice du Collectif surexposition-écran (Cose). Les effets sur le sommeil sont sous-estimés : 49% des parents d’enfants de moins de 11 ans pensent que l’usage des écrans n’a aucun impact sur le sommeil de leur(s) enfant(s) et 8% que cet impact est bénéfique selon l’enquête sommeil 2022 pour l’INSV*.

Le rapport met aussi en lien l’usage du numérique avec une sédentarité plus importante et une activité physique moindre, pouvant contribuer à une augmentation du surpoids et les risques pour la santé qui y sont associés. Concernant la vision, il semblerait que la lumière bleue et la vision des écrans de près impactent la rétine. « Les enfants sont particulièrement vulnérables car leur cristallin n’est mature qu’à partir de 11 ans et laisse passer certains rayons », précise le Dr Dieu Osika, pour qui « des études devraient être approfondies sur l’utilisation prolongée des tableaux numériques ».

Quant aux troubles du neurodéveloppement, de l’anxiété ou de la dépression, si des corrélations ont pu être établies par certaines études, aucun lien de causalité n’a pu être mis en évidence, selon la synthèse des analyses du Haut conseil de la santé publique de 2020.

BON OU MAUVAIS ?

L’utilisation du numérique en classe apporte des résultats contrastés. Dans la synthèse du Cnesco** de 2020, André Tricot et Jean-François Chesné montrent que la plus-value numérique dépend des fonctions pédagogiques visées. Plus que l’outil, ce sont les usages qui sont questionnés. La commission Écrans reconnaît les bénéfices que le numérique peut apporter en termes d’ouverture sur le monde comme l’accès à la connaissance, le maintien des liens humains ou encore des aides pour le handicap mais ses usages peuvent-être subis, notamment par un accès non contrôlé à des contenus inadaptés ou à « des stratégies de captation de l’attention et des données personnelles ». Les « bulles algorithmiques » de certains réseaux questionnent sur leur caractère potentiellement addictogène.

Face à ses enjeux, la commission met en évidence la nécessité de former les élèves « dès l’école élémentaire, de façon appropriée et selon leur âge, au numérique, à son modèle, à ses contenus, à ses usages, aux opportunités qu’il offre et aux dangers qu’il peut présenter ». Mais aussi d’accompagner les enseignant·es dans leur maîtrise du numérique et de ses enjeux via la formation. « Les enseignants sont 8 sur 10 à déclarer que les contenus qu’ils utilisent en classe sont le fruit de leurs propres recherches. Seuls 18% d’entre eux disent avoir été formés à l’usage du numérique par l’Éducation nationale », selon une enquête de l’IFOP réalisée en 2023.

*Institut national du sommeil et de la vigilance.
**Centre national d’étude des systèmes scolaires.

MONICA MACEDO-ROUET, professeure des universités en psychologie à CY Cergy Paris
Université

Monica Macedo-Rouet

LA LECTURE NUMÉRIQUE A-T-ELLE DES SPÉCIFICITÉS ?

Les études internationales montrent que les élèves ayant de bonnes compétences en lecture et compréhension de textes ont de meilleures performances dans la lecture numérique. L’accès à une profusion d’informations sur internet est une richesse mais ajoute plus de complexité à la lecture. Les élèves doivent apprendre à naviguer entre les documents numériques sans se laisser désorienter à travers les liens hypertextes, ni se laisser distraire par des données qui attirent leur intérêt sans être nécessairement pertinentes pour ce qu’ils cherchent.

Par ailleurs, la capacité à chercher une information sur internet dépend d’une bonne compréhension de la question initiale et de l’identification de mots clés pour y répondre, y compris des synonymes de ces mots clés. Aujourd’hui, les élèves sont tentés d’utiliser l’intelligence artificielle générative pour contourner cette complexité mais l’IA est alimentée par un corpus de documents dont elle ne restitue pas les sources de manière explicite. N’ayant pu vérifier leur fiabilité, les élèves peuvent donc répéter des informations biaisées ou erronées.

COMMENT AMENER LES ÉLÈVES À ÉVALUER L’INFORMATION ?

Beaucoup d’approches et de méthodes sont encore testées. Pour l’instant, les résultats ne permettent pas de donner de réponses précises, notamment en termes de progression. Mais ils montrent déjà qu’il est possible d’enseigner la recherche et l’évaluation de l’information numérique de manière explicite, dès l’école primaire. Partir de documents présélectionnés permet à l’enseignant de se focaliser sur certaines étapes. Par exemple, il peut amener les élèves à identifier les critères de la qualité d’une page web en comparant différentes pages.

Modéliser ces critères à travers la démonstration et la pratique guidée permet de développer l’esprit critique puisque les élèves commenceront à comprendre ce que signifient la fiabilité et la crédibilité. Si le devoir est de répondre à une question ou de préparer un exposé, il est important de demander aux élèves d’indiquer la source de la réponse. Quelle que soit l’origine de l’information – site ou réseau –, l’essentiel est d’inciter les élèves à réfléchir sur cette information, son origine et la manière dont elle a été produite. L’idée n’est pas de refuser certains canaux mais d’être dans une démarche analytique constructive.

DES INTERFÉRENCES SUR LE LANGAGE

Les effets des écrans sur le langage sont mitigés. « Dès qu’il y a un appareil numérique en fonctionnement dans l’environnement de la famille, il est observé une baisse du nombre de mots prononcés et moins de tours de parole », explique Marie Danet, maîtresse de conférences en psychologie du développement à l’université de Lille. « Ces interférences dans les interactions impactent l’acquisition du langage, notamment chez le jeune enfant », précise-t-elle. « Par contre, des situations de co-visionnage actif parent-enfant ou enseignant-enfant peuvent stimuler les interactions, renforçant les liens de partage et le plaisir de faire ensemble ».

Des études récentes confirment que le visionnage à haute valeur éducative ou le co-visionnage interactif sont associés à un meilleur développement du langage. Cependant, des études indiquent que le très jeune enfant a du mal à traiter une information perçue en deux dimensions et a besoin d’apprendre par ses sens, dans « une interaction réelle en temps réel », souligne le rapport Enfants et écrans.

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