“Écrire m’a offert deux vies...”
Mis à jour le 17.06.21
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Interview de Jean-Claude Mourvelat, Lauréat 2021 du « Nobel » de littérature jeunesse
“Écrire me donne énormément, ça m’a offert deux vies pour le prix d’une”
Jean-Claude Mourlevat Lauréat 2021 du prix Astrid Lindgren, le « Nobel » de littérature jeunesse, pour son œuvre humaniste, dont les personnages, lors de voyages initiatiques, dans un temps et un espace suspendus, tissant réel et onirisme, amour et désir, font face à la vulnérabilité et à l’adversité… et partent vers l’âge adulte augurant un monde meilleur.
Écrire pour des enfants implique-t-il des contraintes particulières ?
Cela implique de se mettre à leur hauteur, comme lorsqu’on s’accroupit pour parler à un tout petit, afin de ne pas l’écraser d’en haut. Il en va de même quand on écrit pour un enfant. Il faut éviter des introspections et des descriptions qui n’en finissent pas, des références culturelles ou politiques qu’ils ne peuvent pas avoir. Éviter une langue trop sophistiquée qui les mettrait dans l’embarras. Leur parler avec des mots qu’ils puissent comprendre. Tenir compte de tout ça mais ne se limiter en rien, ni au niveau de l’engagement, ni sur les sujets car on peut tout aborder. Tout dépend de la façon dont on s’y prend et le respect qu’on y met. J’ai écrit des albums pour les petits, puis des romans pour les ados, mais aussi pour les adultes. En fait, c’est exactement la même difficulté, seul le traitement est différent.
Comment naissent vos histoires ?
C’est très mystérieux. À chaque fois que j’achève un roman, je suis dans un profond désarroi, j’ai l’impression que je ne pourrai plus écrire ; ça peut durer des semaines, des mois, je n’ai plus d’histoire ou j’en ai trop. Ces projets suivent des chemins souterrains, ou sous-marins, jusqu’à ce qu’un jour il y en ait un qui fasse surface. Ça peut venir de l’enfance, de quelque chose de récent. Ça part d’une petite chose, d’une situation de départ, d’une scène comme au cinéma. Je n’ai pas de scénario. Surtout, je ne me demande jamais ce qui va intéresser les gens. C’est ce que moi j’ai envie de raconter. Si j’avais réfléchi une seconde à ce qui va plaire, je n’aurais jamais écrit L’enfant océan par exemple !
Quel lien entretenez-vous avec les écoles ?
Un lien étroit, j’ai dû faire des milliers de rencontres, en CM2 mais aussi en collèges et lycées, c’en est étourdissant. C’est un lien de la reconnaissance, du plaisir et de la gratitude. Je me sens honoré qu’on ait aimé mon livre, qu’on l’ait partagé. J’ai adoré ce contact avec les enfants et les enseignants, qui sort aussi l’écrivain de sa grande solitude. Je me suis beaucoup amusé et me suis toujours senti très libre, étant de passage, de dire ce que j’avais envie, parfois de les déstabiliser un peu ou de les faire rire, même en racontant des bêtises. J’ai répondu des centaines de fois aux mêmes questions, mais un élève m’a dit un jour une phrase qui m’a marqué : « merci de nous parler comme à de vraies personnes ».
Quelle place à l’école pour la littérature jeunesse ?
J’apprécie que la littérature jeunesse ait trouvé une certaine place, ce qui n’a pas toujours été le cas. Je n’ai jamais rencontré un écrivain lorsque j’étais élève ! Les profs qui m’invitent ne prennent pas cette littérature pour une sous-catégorie et sont conscients que les auteurs d’aujourd’hui écrivent les classiques de demain. Est-ce majoritaire chez les enseignants ? Je ne sais pas. Mes expériences de lectures à haute voix dans des théâtres m’ont appris que c’est une entrée possible en littérature. Tout le monde aime écouter, et c’est très incitatif. Pourtant, beaucoup de profs ne s’y risquent pas, faute d’être à l’aise avec cet exercice. La formation professionnelle des enseignants prend-t-elle suffisamment en compte le placement de la voix, les questions de posture, l’attention au public… ? Ce serait nécessaire.
Quelle est la plus belle chose que vous ayez apprise en écrivant ?
J’ai appris que je savais le faire et j’ai mis 40 ans à découvrir que je pouvais écrire. J’ai eu une vie avant et une vie après. Une nouvelle vie s’ouvrait à moi. C’est peut-être une façon de donner un sens à ce qui nous arrive. La vie est incroyablement chaotique, avec beaucoup de contradictoire, écrire des histoires donne du sens, ça m’apporte une sorte d’apaisement, même s’il y a beaucoup de fantaisie et de souffrances. Écrire me donne énormément, ça m’a offert deux vies pour le prix d’une.
Quelle place pour la lecture chez les enfants d’aujourd’hui ?
J-C.M. : Joker ! Je ne voudrais pas faire des réponses passe-partout, faute d’avoir des études précises sur ce sujet. J’ai l’impression que les enfants aujourd’hui lisent énormément, peut-être plus que moi autrefois. Mais je suis un inventeur d’histoires et pas un sociologue…