EMI...comment et pour quoi faire ?
Mis à jour le 17.05.22
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Interview de Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de et de la communication
“Sortir d’une représentation trop manichéenne de la vérité”
Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de et de la communication (université Paris VIII), autrice de « L’adolescence au cœur de l’économie numérique », INA.
Qu'est-ce que l'EMI ?
L’éducation aux médias et à l’information se compose de trois branches. Une branche socio-économique concerne la connaissance du fonctionnement économique des médias - télé, radio, plateformes culturelles en ligne. La deuxième recouvre l’analyse des contenus auxquels les élèves ont accès, par exemple pour interroger quelles images suscitent chez eux des émotions particulières et comment les aider à les analyser. Enfin, la troisième branche vise à connaître les usages des médias qui peuvent être informationnels mais aussi créatifs. Le tout est à adapter en fonction des programmes et des appétences des professeurs.
Avec les réseaux sociaux, de nouveaux enjeux ?
Oui, car même s’ils n’y sont pas autorisés avant 13 ans, beaucoup d’élèves ont un compte sur Instagram, Tik-Tok ou Snapchat. Il importe de leur faire prendre conscience de l’injonction de participation, à écrire, à « liker », à partager... Être informé du fonctionnement de ces plateformes gratuites, qui se nourrissent de la valeur produite par la participation des usagers, permet de prendre de la distance pour rechercher l’information par soi-même, sans dépendre des recommandations de la machine. Les études d’usage des réseaux sociaux montrent que les jeunes réalisent un vrai travail éthique qu’on a intérêt à doper en tant qu’enseignant. Face aux images et messages reçus, interroger les émotions, les intentions, les publications permet l’autonomisation, la liberté intellectuelle, en mesurant l’écart entre ce que la plate-forme et le réseau de contacts incite à penser et ce que l’usager pense lui-même.
"L"EMI est un espace de travail favorisant l'autonomisation des jeunes,
la conception de leur pensée, de leurs positionnements"
Former à l'esprit critique et à la citoyenneté par l'EMI ?
L’EMI est un espace de travail favorisant l’autonomisation des jeunes, la conception de leur pensée, de leurs positionnements. Les médias numériques fondés sur l’expression publique, rendent nécessaire la compréhension des enjeux et favorisent la citoyenneté à travers l’exigence du respect des différents points de vue, y pace public, sans recours à l’insulte. L’esprit critique, c’est essayer de comprendre d’où viennent les informations sur ces plateformes, censées être recommandées pour soi, d’en identifier la source pour éclairer l’intention de l’auteur et se départir de l’adhésion-croyance vis-à-vis des images. L’esprit critique se nourrit du temps d’arrêt sur image, de la distanciation par rapport à l’incitation à la participation d’une entreprise commerciale qui l’exploite.
Contre les infox, un rôle pour l'école ?
S.J. : Les infox ou « fake news » révèlent des enjeux de lutte entre des croyances et des légitimités différentes. L’école peut expliquer ce qu’est un journaliste, sa déontologie, les comptes qu’il doit rendre quand il raconte des choses qui s’avèrent fausses. À propos d’interprétations sur la pandémie véhiculées par les familles, l’école peut rappeler les règles de la science, fondée sur des travaux collaboratifs et le contrôle des pairs. Il est très important de sortir d’une représentation trop manichéenne de la vérité. Les « fake news » expriment une forme de défiance envers les institutions. Pour lutter contre, il faut informer sur leur fonctionnement, à la mesure de ce que l’on peut faire en primaire, à partir du questionnement des élèves, mais sans minimiser les erreurs des institutions et des médias.
Comment s'y prendre ?
Si on traite des réseaux sociaux, il faut les fréquenter, se familiariser avec, tout en sachant que les pratiques des adultes sont différentes de celles des jeunes. Ensuite, créer un espace de confiance dans lequel on peut explorer la diversité des interprétations et prendre le temps de rappeler la loi quand c’est nécessaire. Non pas pour sanctionner les élèves parce que la liberté de parole, à condition de respect entre élèves, est essentielle. Ils doivent pouvoir dire des choses illégales et, dans ce cas, se voir rappelés à la loi. Contre la posture selon laquelle « les réseaux sociaux, ce n’est pas la vraie vie », l’enseignant doit rappeler que toutes les règles de droit s’y appliquent. Il faut régulièrement rappeler aux élèves que la diffamation, l’insulte, le harcèlement y sont interdits. Produire de l’information audio ou vidéo sur site est, par ailleurs, très intéressant pour développer une posture éthique quand on doit choisir un sujet et réfléchir à son traitement.