En l’école de la République
Mis à jour le 10.11.20
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Pour les PE, la laïcité n’est pas une matière scolaire mais un vécu au long cours.
Loin des beaux discours et des grandes théories, pour la plupart des PE, la laïcité n’est pas une matière scolaire mais un vécu au long cours. Un travail qui passe par le dialogue et la possibilité laissée aux élèves d’échanger sur leurs savoirs et leurs croyances.
« Dans la classe, on distingue ce qui relève de la vérité religieuse et scientifique », explique Virgile Luigi, enseignant de cycle 3 à l’école René Cassin du quartier de l’Ariane à Nice (Alpes-Maritimes). « Et si la vérité religieuse n’a pas sa place à l’école, cela n’empêche pas certains enfants de voir dans des vérités scientifiques, l’œuvre de Dieu », note l’enseignant qui a déjà passé dix-huit années dans ce quartier en REP+. Parfois les connaissances de l’école sont directement mises en cause quand des élèves pointent par exemple des contradictions sur la datation de l’apparition de l’homme sur la terre entre ce que disent les connaissances en préhistoire et le cours d’histoire religieuse qu’ils suivent en dehors de l’école. « On échange, on discute, et on se rend au musée de la préhistoire Terra Amata, à Nice, pour vérifier », explique Virgile, qui prend alors soin d’inviter la famille à accompagner la sortie, même si elle ne vient pas toujours.
Faire vivre la charte
Depuis la rentrée 2013, la charte de la laïcité doit être affichée dans toutes les écoles et établissements scolaires. « Chaque année, je la lis avec mes élèves et la commente avec des mots simples », explique Géraldine Cama, directrice d’une petite école de quatre classes à Ruffey-lès-Échirey en Côte-d’Or. Mais pour cette enseignante, la citoyenneté c’est d’abord une question pédagogique. « Le travail en coopération, en îlot, le tutorat sont des outils pour favoriser l’écoute et la prise en compte de l’autre », raconte Géraldine qui y voit « le partage de valeurs profondes du quotidien » plutôt qu’une « leçon bien ficelée ». Même constat pour Sophie Brouzeng, qui exerce en cycle 2 à l’école Paul Bert dans le centre-ville d’Agen (Lot-et-Garonne). « La charte, c’est trop compliqué pour mes jeunes élèves », tranche cette enseignante. Et c’est plutôt dans les ateliers philo qu’elle dirige, dans lesquels chacun peut « prendre la parole, écouter, prendre en compte, montrer son désaccord que s’exerce l’apprentissage de la citoyenneté », explique-t-elle. Pareil pour Laurent Valgrésy, qui enseigne dans une petite commune de 700 habitants du Loir-et-Cher. Il profite de ces temps de parole pour aborder des sujets comme le harcèlement ou l’égalité filles-garçons qui font partie du vécu de sa classe. « J’organise le cadre, je pose des questions et ils doivent trouver des pistes de réponses », raconte cet enseignant de classe rurale. « Le fait de ne pas prendre position donne du crédit et libère la parole », analyse-t-il.
Dialoguer, toujours et encore
Parfois les discussions se prolongent devant les portes de l’école. « Des parents m’attendaient suite à un atelier philo sur la mort que j’ai mené avec des grandes sections », se souvient Christelle Ibert, enseignante spécialisée de RASED exerçant actuellement en ULIS, au collège Olympe de Gouges à Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique. « Ils m’en voulaient que leur enfant ait pu entendre d’autres croyances que celles qu’ils lui inculquaient sur ce qui se passait après la mort », raconte-t-elle. Cette confrontation aux convictions religieuses des familles est parfois rude quand des jeunes filles se voient dispensées de piscine par exemple. « Mais c’est toujours par le dialogue qu’on arrive à renverser les choses », explique Virgile qui concède qu’il a l’avantage de travailler depuis longtemps dans son quartier. Une confiance qui s’établit dans la durée, analyse Sophie Brouzeng mais qui ne l’a pas empêchée de mettre tous ses élèves au régime végétarien pour la classe de découverte dont elle revient. « J’ai pris cette décision car j’en avais assez que les familles s’intéressent davantage au contenu des repas qu’à celui du séjour », concède l’enseignante. « Il ne faut pas renoncer, mais sur le terrain il y a des adaptations et des discussions », explique encore Virgile. « La République a toujours dialogué et trouvé des compromis avec le religieux, il n’y a pas de raison que cela s’arrête », conclut-il.