Enseigner après Samuel Paty
Mis à jour le 10.11.20
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Eduquer à la liberté d’expression et à la laïcité demeure un défi essentiel.
Lundi dernier, les équipes ont accueilli les élèves avec de nouvelles contraintes sanitaires. Mais à cette situation anxiogène s’ajoutait un incontournable hommage à Samuel Paty, le professeur d’histoire assassiné le 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine dans les Yvelines, pour avoir amené les élèves à discuter autour de caricatures dont une de Mahomet. Mais alors que deux heures de temps banalisé et la liberté des modalités de l’hommage avaient été accordées, le ministère est finalement revenu en arrière. Une minute de silence, la lecture de la lettre aux institutrices et instituteurs de Jean Jaurès ont été imposées par le ministre. Son courrier reçu le vendredi soir précédant la rentrée a remis en cause ce que les PE avaient préparé pour donner du sens à la minute de silence, pour permettre des échanges avec les élèves sans plus attendre.
Une mission essentielle visée
Dans la classe d’Elsa Bouteville, maîtresse de CM1 dans les Hauts-de-Seine, la journée débute toujours par un moment de regroupement. C’est lors de celui-ci qu’elle a demandé aux élèves pourquoi « aujourd’hui est une journée particulière ». Leurs propos se fixent d’abord sur l’épidémie mais en leur suggérant qu’« il y a une autre raison », les écoliers n’ont pas tardé à réagir, à parler de la mort de Samuel Paty, leurs réactions montrent que faire vivre le principe de laïcité demande un travail de longue haleine. Les PE ont bien conscience que deux fondements au cœur de leur mission sont visés lors des attentats parmi lesquels celui de Nice il y a quelques jours : l’éducation à la liberté d’expression et au principe de laïcité. Depuis les premières lois qui l’ont fondée, l’école de la République a été construite pour faire vivre une « unité fraternelle de la Nation », selon les termes du législateur. Dans les programmes de 2016, c’est dans le cadre de l’Éducation morale et civique (EMC) que ces notions doivent être abordées à partir d’un enseignement fondé sur l’expérience des élèves. Mais en 2017, la rue de Grenelle a changé de direction résumant l’EMC à une série de notions à maîtriser selon une progression définie… L’affichage du drapeau national et des paroles de la Marseillaise n’ont rien apporté à l’exercice de la laïcité.
La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État proclame que la République ne reconnaît aucun culte donc, qu’il n’y a pas de religion d’État. Un texte qui conserve toute sa pertinence, Samuel Paty le respectait à la lettre. Quant à la laïcité, Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, la définissait récemment dans un entretien paru dans Le Monde. Elle « repose sur trois piliers. Le premier est la liberté, de croire ou pas, de changer de religion, de pratiquer son culte. Le deuxième pilier, c’est la neutralité de l’État et des services publics. C’est le fait que la religion n’est pas au-dessus des lois civiles. Le troisième pilier est la citoyenneté ».
Des principes à faire vivre au quotidien
Amener tous les élèves à adhérer à ces principes demande du temps. En témoignent les PE que Fenêtres sur cours a interrogés. « Le travail en coopération, en îlot, le tutorat sont des outils pour favoriser l’écoute et la prise en compte de l’autre », afin de donner corps au vivre ensemble, explique Géraldine Ruffey, maîtresse en Côte-d’Or. Elle privilégie « le partage de valeurs profondes du quotidien » plutôt qu’une « leçon bien ficelée ». Sophie Brouzeng, à Agen, dirige des ateliers philo au cours desquels chacun peut « prendre la parole, écouter, prendre en compte, montrer son désaccord », cela pour « que s’exerce l’apprentissage de la citoyenneté ».
Quelle formation ?
Mais faire vivre la liberté d’expression et la laïcité, ça s’apprend. La question de la formation des PE est encore une fois posée. « Les enseignants savent aujourd’hui tenir compte, plus qu’avant, de la diversité des niveaux intellectuels des élèves, mais ils n’ont pas appris à travailler avec la diversité des sentiments des enfants, et des familles », souligne Françoise Lorcerie, spécialiste de la sociologie politique de l’intégration. « Pour cela, il faut qu’ils soient formés à accueillir l’altérité ». À leur disposition, ils n’ont guère que le vadémécum proposé par le ministère qui est loin de répondre à toutes les questions.
Séverine Fix-Lemaire, CPC et doctorante sur le thème de l’EMC, préconise le débat réglé, ou encore le jeu, quand il s’agit d’aborder le fait religieux. « Les élèves en tirent de la connaissance et de l’interconnaissance. Ils apprennent les uns avec les autres, les uns sur les autres. Ils apprennent qu’à l’école tout sujet peut devenir objet de savoir ». La liberté d’expression et le respect du principe de laïcité sont indispensables à l’exercice d’un esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté.
“Les enseignants savent aujourd’hui tenir compte, plus qu’avant, de la diversité des niveaux intellectuels des élèves,
mais ils n’ont pas appris à travailler avec la diversité des sentiments des enfants et des familles.’’
La mission de l’Observatoire
L’Observatoire de la laïcité a pour mission « d’assister le gouvernement dans son action visant au respect de la laïcité ». Il a développé des outils pour aider à comprendre et à préciser les principes qui régissent la laïcité. Ses détracteurs l’accusent de laxisme envers les religions et notamment l’islam. Pour les membres de l’Observatoire, ce n’est pas la négation des religions, y compris dans l’espace public mais la possibilité encadrée d’exercer librement son culte. Une laïcité qui autorise et n’interdit pas. Certains membres du gouvernement voulaient la remettre en cause suite aux derniers événements. Pour l’heure, l’Observatoire et ses représentants sont maintenus jusqu’au mois d’avril prochain. Sûrement que le soutien d’un collectif de chercheurs, d’associations d’éducation populaire, de syndicats et de nombreuses personnalités a pesé dans la décision.