Fille ≠ garçon, vraiment ?
Mis à jour le 05.10.20
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Décryptage : pour lutter contre les inégalités entre filles et garçons, c'est dès l'école !
L’égalité entre filles et garçons s’apprend à l’école aussi. Pour autant, c’est loin d’être si évident, la reproduction des inégalités se faisant bien souvent inconsciemment.
Les enseignants et enseignantes, citoyens et citoyennes comme les autres, reproduisent stéréotypes et discriminations dans leur classe et ce, de façon inconsciente comme l’explique l’historienne Muriel Salle*. Les interactions verbales entre les PE et leurs élèves varient en fonction du genre. Les garçons sont deux fois plus sollicités que les filles, les premiers dans une construction du savoir, les secondes dans un rappel des savoirs acquis, faisant ainsi office d’auxiliaire pédagogique. L’occupation de l’espace est aussi révélatrice de la domination masculine. Les garçons occupent la majorité des cours de récréation, sous prétexte de jeux de ballons. Les filles, réputées avoir des occupations plus calmes, se contentent de rester sur les bords.
Dans la littérature de jeunesse et les manuels scolaires, le constat est sans appel : les femmes sont sous-représentées. Et, le peu de fois où elles apparaissent, leur représentation est stéréotypée : femme au foyer, dans la cuisine ou s’occupant des enfants…
Du côté de l’EPS, quel enseignant ne s’est pas retrouvé avec des équipes exclusivement masculines sous prétexte que « le foot ce n’est pas pour les filles » ? Il n’est pas rare non plus d’entendre que « ce n’est pas grave si les filles sont plus faibles que les garçons, l’important c’est de participer ». Autant de remarques, qui contribuent à la construction de l’inégalité entre les filles et les garçons et qui participent à l’assignation de la domination. Seule discrimination genrée au bénéfice des filles : les sanctions. Leurs camarades masculins sont beaucoup plus sanctionnés.
Construire l’égalité dès l’école
L’école, haut lieu de socialisation, ne peut donc nier sa responsabilité dans la construction des inégalités liées au genre. Pour autant, elle est loin d’être la seule responsable. Bien souvent, elle doit « ramer à contre-courant », les enfants ayant déjà intériorisé leurs rôles sociaux bien avant d’arriver dans la classe. « En dépit des directives officielles incitant à combattre les préjugés – oui, une femme peut devenir pompière, charpentière ou maçonne – le problème reste inscrit à la racine : quand un enfant naît, si c’est une fille on l’habille de rose et on l’appelle « Ma petite puce ». Si c’est un garçon, on lui met du bleu et on l’appelle « Mon grand » », explique le philosophe Thierry Hoquet*.
Nul ne peut donc effacer d’un revers de main des siècles de stéréotypes et de domination masculine. Encore en 2020, 71 % des tâches domestiques sont assumées par les femmes. L’école tente, à son niveau, de rectifier le tir. Dans bon nombre d’entre elles, les cours de récréations sont réinvesties par les équipes pédagogiques : jeux mixtes, espaces pensés différemment pour une occupation plus égalitaire. Dans les écoles maternelles, ce sont les coins jeux qui font l’objet de réaménagements afin de lutter contre des coins poupées exclusivement occupées par les filles et des coins voitures par les garçons. La lutte contre toutes formes de discrimination est aussi appréhendée lors de séances d’EMC. Pour autant, combattre les inégalités et les stéréotypes ne doit pas rester une initiative individuelle, c’est au niveau national que des plans tels que les ABCD de l’égalité, dispositif expérimental abandonné sous la pression de lobbys de parents réactionnaires, doivent être lancés. Il en va d’une société plus égalitaire.
* Muriel Salle, « Formation des enseignants : les résistances au genre » **Thierry Hoquet, « Sexus nullus ou l’égalité »
Sigolène Couchot-Schiex est professeure des universités et ancienne présidente de l’ARGEF, Association de recherche sur le genre en éducation et formation
Quelle est la formation des PE sur l’égalité du genre ?
Depuis vingt ans, la question est portée par plusieurs chercheurs en sciences de l’éducation. En 2012, en amont de la loi de refondation, nous avions travaillé avec l’association ARGEF et le ministre de l’Éducation de l’époque sur ces questions d’égalité. Cela a abouti à l’introduction d’un module de formation dédié au sein des ESPE et à l’expérimentation des ABCD de l’école. Malheureusement, seuls les modules ont été maintenus dans la formation des PE et des cadres. Mais pour autant, les maquettes de formation dépendant entièrement des INSPE, on observe une hétérogénéité du nombre d’heures consacrées.
Est-elle suffisante ?
Non, pas plus quantitativement que dans la manière dont elle est dispensée. Avant de pouvoir apporter des connaissances aux PE, il faut partir de leurs représentations, un peu comme on le fait avec les élèves. C’est ce que je fais avec mes étudiants. Déstabiliser leurs représentations et leurs croyances pour mieux identifier ce qui pose problème dans leur pratique. Ce n’est pas toujours évident car pour beaucoup, les problèmes ne sont pas identifiés. Les aider à cibler un ou plusieurs points qui peuvent poser question permet d’amorcer la discussion et la réflexion mais ne garantit pas la transformation des pratiques à l’école et dans la classe qui nécessite un accompagnement réflexif plus important.
Comment ne pas reproduire les stéréotypes ?
Il faut sortir de l’assignation des catégories : une fille aime jouer à la poupée, un garçon au foot, car cela empêche les personnalités des élèves de se développer. Tout le monde est d’accord pour l’égalité, mais prendre conscience qu’on a parlé dix fois aux garçons et une fois aux filles pour demander aux garçons de faire une démonstration mathématique et à la fille d’effacer le tableau n’est pas évident. En termes de pouvoir symbolique, ce n’est pas anodin. Il ne suffit pas de dire aux filles qu’elles ont le droit de porter du bleu et les garçons du rose pour que les choses changent. Les enjeux de la reproduction des catégories de sexe amènent à des questionnements plus complexes concernant le genre.