"L’école notre maison commune "

Mis à jour le 02.06.20

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Interview de Philippe Meirieu : l'école, ce lieu où l'on apprend ensemble

Philippe Meirieu est professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris-Lyon 2 et directeur de la collection « pédagogies » chez ESF éditeur. En août sortira son nouveau livre « Ce que l’école peut encore pour la démocratie » aux éditions Autrement.

L’école n’est pas seulement le lieu où l’on apprend, c’est aussi l’endroit où l’on apprend ensemble, où on coopère pour mieux comprendre, où se jouent des interactions essentielles entre élèves, entre élève et PE.

L’école à la maison, est-ce vraiment l’école ?

Philippe Meirieu : Évidemment non ! Puisque l’école a été précisément créée pour lutter contre le caractère aléatoire de l’éducation familiale : en dehors de l’école, les rencontres avec les savoirs sont très différentes selon les circonstances que vivent les uns et les autres. Il peut exister des occasions d’apprendre, mais pas pour tous et pas toujours au bon moment. Certains peuvent entrevoir que les efforts faits pour comprendre procurent, in fine, plus de satisfactions que la facilité ou la débrouillardise, tandis que d’autres ignoreront complètement cela. Et puis, en famille, les relations sont très affectives et le danger est grand que cela parasite les apprentissages : les enseignants qui s’obstinent à faire travailler leurs propres enfants connaissent bien les tensions que cela peut entraîner face à un blocage… Mais, surtout, dans notre République, l’École n’a pas seulement pour mission de permettre aux enfants d’apprendre, elle doit leur permettre d’apprendre ensemble : pour découvrir que les savoirs les unissent alors que leurs origines et leurs croyances les séparent… Pour comprendre qu’ils sont, tout à la fois, semblables et différents et, donc, qu’ils peuvent échanger sereinement et coopérer efficacement… Pour voir qu’au-delà du cercle familial, il y a le quartier, la région, le pays et le monde et que tout cela forme un ensemble dans lequel nous sommes tous solidaires. L’École c’est la découverte simultanée de l’altérité et du commun.

Qu’apporte l’école qu’on ne retrouve pas en distanciel ?

P.M. : C’est évidemment la construction du collectif. Une classe, ce n’est pas la juxtaposition d’individus auxquels on distribuerait des exercices, aussi ajustés soient-ils à leurs problèmes personnels. La classe, c’est une « institution » grâce à laquelle on accède à une même valeur fondatrice : l’exigence de précision, de justesse et de vérité. La classe, c’est donc un espace-temps à haute valeur symbolique où le « faire ensemble » est porté par des rituels dont chacun peut mesurer la fécondité. C’est un cadre habité par un collectif où le maître garantit que chacun est appelé au partage des savoirs. C’est le lieu de l’entraide et de la coopération où l’on se découvre solidaire des autres et où l’on apprend progressivement que le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels. Je ne dis pas qu’il est absolument impossible d’approcher cela avec le numérique, mais je suis convaincu que la coprésence est indispensable pour que de jeunes êtres en développement puissent se sentir « embarqués » complètement dans cette aventure et se mobiliser pleinement pour la réussir.

“Le « faire ensemble » est porté par des rituels dont chacun peut mesurer la fécondité”

Cette crise interroge-t-elle la place et le rôle de l’école dans la société ?

P.M. : Oui, très fortement ! Elle nous montre à quel point notre École doit être vécue comme une « maison commune », créer du lien et faire vivre le collectif, plutôt que de distribuer des savoirs à ceux qui ont trouvé leur panoplie d’élève au pied de leur berceau. Elle nous montre à quel point elle doit se reconstruire comme une « institution », un véritable « service public » et non un « service aux publics ».

Quelle école après ?

P.M. : C’est à nous de construire « l’après ». Et rien n’est joué : peut-être cet après sera-t-il piloté par les GAFAM et les Edtech qui garantiront aux familles les plus favorisées une « continuité pédagogique » strictement individuelle où les personnes, mises en concurrence systématiquement, chercheront chacune à se protéger et tirer leur épingle du jeu ? Peut-être, au contraire, peut-on espérer une école où la découverte au quotidien que nous ne serons sauvés que par la solidarité sera la règle d’or ? Je l’espère de tout cœur. Mais c’est loin d’être gagné d’avance !

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