“La machine ne doit pas réduire la relation humaine”

Mis à jour le 03.09.20

4 min de lecture

Interview de Marc Bablet, ancien responsable de l'Education prioritaire.

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New mail Marc Bablet, IA-IPR et ancien responsable de l’éducation prioritaire au ministère, analyse l’enquête de la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance)

Marc Bablet, IA-IPR et ancien responsable de l’éducation prioritaire au ministère, analyse l’enquête de la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance) ...« Crise sanitaire de 2020 et continuité pédagogique : les élèves ont appris de manière satisfaisante ».

Une note de la DEPP analyse les effets du confinement. Que faut-il en retenir ?

Marc Bablet : Ce qui est frappant quand on lit cette note de la DEPP, c’est qu’elle titre sur la satisfaction des professeurs vis-à-vis des apprentissages des élèves. 77% des enseignants du premier degré disent que les élèves ont appris de manière satisfaisante pendant la période du confinement. Les parents des collégiens et lycéens confrontés à la pratique de l’enseignement disent que les activités scolaires proposées ont été très profitables ou assez profitables. Il n’a échappé à personne que c’est avant tout le fruit du travail enseignant, le ministère ayant donné les règles sanitaires et quelques outils.

Les différents outils mis à disposition par le ministère ont-ils été suffisants ?

M.B. : Les enseignants sont les mieux à même de répondre à cette question, la note de la DEPP ne dit rien du sujet qui risquerait de mettre en difficulté le ministre, en revanche le dossier, beaucoup plus complet, donne des informations sur ce sujet. Les enseignants du premier degré disent avoir en priorité utilisé des ressources propres ou celles de collègues (93%). Les ressources institutionnelles viennent loin derrière : l’opération du CNED ne recueille que 17% d’usage déclaré. En outre, l’opération « nation apprenante » ne recueille que 13%.

 “La principale leçon à tirer concerne la façon de piloter le système éducatif.
On ne peut continuer avec cette manière autoritaire et descendante.”

Le décrochage des élèves a été très limité selon Jean-Michel Blanquer, est-ce la réalité ?

M.B. : On peut difficilement croire que le ministre dispose d’études sérieuses à ce sujet. Cela ne l’a pas empêché de communiquer sur 4% sans précisions quant aux niveaux scolaires concernés, aux réalités sociales et territoriales, à la temporalité. Or, le dossier de la DEPP montre que dans le premier degré, les enseignants pensent avoir eu 6% de décrocheurs (10% en éducation prioritaire). Ils sont sans doute plus près de la réalité mais il faudrait distinguer les périodes notamment avant ou après les congés de printemps.

Le confinement a-t-il accru les difficultés des élèves de milieu populaire ?

M.B. : Ce qui est le plus clair dans l’étude de la DEPP est que les écarts sociaux ont été encore davantage révélés par cette période, notamment au niveau de l’éducation prioritaire et du lycée professionnel. Les élèves de milieux populaires sont ceux qui ont le plus besoin de l’enseignant pour soutenir leur motivation et leur concentration sur les apprentissages scolaires. L’enseignement à distance ne peut leur être favorable.

Quelles leçons tirer de cette crise si des écoles devaient à nouveau être fermées ?

M.B. : La principale leçon à tirer concerne la façon de piloter le système éducatif. On ne peut continuer avec cette manière autoritaire et descendante. Il faut un pilotage éclairé par les données de la recherche et par le dialogue social qui ait pour principal but d’aider et soutenir ceux qui sont au contact des élèves afin que ceux-ci apprennent. Le pouvoir ne doit pas dire ce qu’il faut faire. Il doit donner les orientations politiques et soutenir leur mise en œuvre. Il devrait davantage contribuer à soutenir les personnels pour les aider à lutter contre le décrochage et les inégalités.
Le ministre va vouloir profiter de la crise pour développer la formation numérique des élèves mais aussi des enseignants. Il est inacceptable de faire croire que des outils techniques peuvent remplacer des relations humaines. Les élèves n’apprennent pas mieux avec de prétendues individualisations des enseignements via le numérique. La machine ne doit pas réduire la relation humaine dont la crise a montré l’importance pour mobiliser tous les acteurs sur l’éducation. Tout au contraire comme le porte Bernard Charlot dans « Éducation ou barbarie », face aux logiques de concurrence et de compétition pour la performance, face à la cyberculture, aux prétentions du transhumanisme, il faut réintroduire la question de l’homme dans les débats sur l’éducation.

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