La sexualité, c'est pas tabou
Mis à jour le 22.03.23
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Enseigner l'éducation à la sexualité dès le plus jeune âge est essentiel
Malgré un prescrit flou, le manque de connaissances théoriques et de formation des PE, enseigner l’éducation à la sexualité dès le plus jeune âge apparaît essentiel. De récents rapports prouvent même qu’il y a urgence à donner plus de place et d’importance à cet enseignement face aux enjeux d’égalité femmes-hommes et à la persistance des violences sexistes et sexuelles.
« Est-ce que l’amour dure longtemps ? », « À quoi peut-on savoir si on est une fille ou un garçon ? », « Pour moi, aimer ce n’est qu’aimer sa famille », « Il n’y a pas de problème si on est un garçon et qu’on aime un garçon, si on est une fille et qu’on aime une fille »... C’est par l’intermédiaire de petits mots écrits anonymement par ses élèves que Cécile Ropiteaux, enseignante en CM2 à l’école Beaumarchais de Dijon, construit les séances d’éducation à la sexualité (EAS). Un enseignement complexe et basé sur l’intimité, qui peut parfois déstabiliser les PE en l’absence de prescrit clair et de connaissances théoriques suffisantes. Si les premières initiatives scolaires visant la prévention et l’information à la sexualité remontent aux années 1970, la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception rend obligatoires en 2001 une information et une éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogènes. La circulaire du 12 septembre 2018 est venue fixer le cadre pédagogique de cet apprentissage au carrefour de la biologie, de la psychologie et des émotions, du droit et des comportements sociaux. Pourtant, selon un rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) datant de juillet 2021, moins de 15% des élèves bénéficient de trois séances d’EAS en école primaire et au lycée (moins de 20% en collège). Trois associations (Planning familial, SOS Homophobie et Sidaction) ont d’ailleurs annoncé le 1er mars dernier attaquer l’État en justice pour « défaut de mise en œuvre de la loi » de 2001.
Ni formation, ni manuels
Dans la lutte contre les stéréotypes et tabous en tous genres, l’éducation à la sexualité implique les élèves et leurs familles autant que la profession enseignante. Chaque PE aborde ainsi l’EAS à l’aune de sa propre personnalité et des objectifs pédagogiques qu’il se fixe. « Le but est que mes élèves aient des principes, notamment le respect des désirs de l’autre et de soi-même », souligne Cécile Ropiteaux. « Nous n’avons ni formation, ni manuels, constate Céline Sierra, enseignante à l’école élémentaire des Garennes à Nantes. On ne part pas d’une page blanche mais de nos conceptions, de nos pudeurs ». « Le sujet est difficile à aborder, il faut sortir de nos normes, nous déranger ! », confirme sa binôme de classe, Rachel Cargouet.
Accompagner l'enfant dans sa construction
Selon Séverine Ferrière, professeure en sciences de l’éducation, parmi les pistes pédagogiques possibles, « il faudrait avoir plus de temps de formation initiale et continue, un travail plus approfondi sur la façon dont chaque discipline peut concourir à cet enseignement et des lieux pour échanger sur les pratiques afin de construire un projet sur plusieurs années ». Autres leviers qu’il conviendrait d’actionner : un investissement plus important des champs pédagogiques relevant des dimensions affectives, juridiques et sociales de l’EAS sans restreindre les séances au seul champ biologique. Des approches qui peuvent être abordées dès l’école maternelle. « Les enfants vivent dans le même monde que les adultes, ils questionnent sur la vie quotidienne et sont exposés aux médias, ajoute Séverine Ferrière. Ils reproduisent ce qu’ils observent dans une société où la dimension stéréotypée des activités commence très tôt. L’école est là pour ouvrir le champ des possibles et faire réfléchir ». Se donner le droit de différer le traitement des interrogations des élèves permet également aux PE de prendre le temps de se documenter, de trouver des formulations précises et non stigmatisantes.
Lutter contre les violences sexuelles et sexistes
Face aux chiffres alarmants du rapport 2023 sur l’état du sexisme en France publié par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) – près d’un quart des hommes de 25 à 34 ans estime qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter ; 80% des femmes estiment être moins bien traitées que les hommes en raison de leur sexe et 37 % disent avoir déjà subi des rapports sexuels non-consentis – l’éducation à la sexualité dès le plus jeune âge mérite d’être réaffirmée et soutenue par l’institution scolaire. Élise Devieilhe, docteure en sociologie, estime que l’EAS doit participer à l’éradication des violences sexuelles et sexistes. « Les violences faites aux femmes et aux enfants relèvent non pas de criminels marginaux mais d’une tragique normalité, affirme-t-elle. Les violences patriarcales sont systémiques, prennent source dans les rôles de genre, empreints de culture du viol ou de l’inceste. Il est donc essentiel de les travailler ».
PAS QU’UNE AFFAIRE DE GRAND·ES...
Si depuis la dernière circulaire du 12 septembre 2018, l’éducation à la sexualité (EAS) ne s’adresse plus aux élèves du cycle 1, le programme définit la maternelle comme un lieu où les enfants apprennent à vivre ensemble. En classe, dans la cour de récréation ou à la cantine, des liens affectifs se développent et les élèves doivent apprendre à gérer leurs émotions. Ils vont aussi apprendre à mieux connaître, maîtriser et prendre soin de leur corps, comprendre qu’il leur appartient, identifier les ressemblances et les différences entre filles et garçons, acquérir des connaissances autour de la naissance. La prise de conscience de la diversité des modèles parentaux et le questionnement des stéréotypes de genre sont travaillés tout au long du cycle. C’est aussi l’occasion de réfléchir à des situations où l’élève peut devenir auteur d’actes répréhensibles (insultes, moqueries...). Autant de savoirs et de compétences qui s’avèrent indispensables à la construction des apprentissages et concourent à l’EAS.
Le sommaire du dossier :
- Trois champs à explorer : l'éducation à la sexualité recouvre de nombreuses notions à aborder tout au long de la scolarité. La faire vivre n'est pas si simple...
- Des petits mots pour le dire : dans la classe de CM2 de l'école Beaumarchais à Dijon (Côte-d'Or), les séances d'EAS se construisent sur les conceptions et les intérêts personnels des élèves pour élaborer du commun.
- 3 questions à Séverine Ferrière, professeure en sciences de l'éducation et formatrice à l'Inspé de la Réunion.
- Ensemble pour se lancer : l'équipe des Garennes de Nantes (Loire-Atlantique) s'appuie sur le collectif de travail pour oser concevoir l'éducation à la sexualité.
- « Un enjeu d'égalité et d'émancipation » : interview d'Elise Devieilhe, docteure en sociologie, formatrice à l'association Epicène.