Les enfants gitans et l'école
Mis à jour le 16.06.21
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À Perpignan, l’école à la peine avec les enfants gitans
Avec la crise sanitaire, la scolarisation des enfants tziganes ou du voyage, sédentarisés ou non, s’est effondrée partout en France. Une situation qui touche particulièrement les communautés gitanes de Perpignan.
« Il y a des enfants inscrits sur ma liste de classe que je n’ai jamais vus depuis le début de l’année », indique sans détour Lise Naranjo, adjointe à l’école Hélène Boucher située au nord de Perpignan et scolarisant une proportion d’environ 60 à 70 % d’enfants d’origine gitane. Une situation qui se retrouve sur l’ensemble des écoles de la commune scolarisant des élèves gitans. « Alors qu’on avait un peu réussi à remonter la pente jusqu’à près de 73 % de taux de présence, on n’atteindra pas 50 % cette année », indique Carole Duhale, directrice de l’école depuis 15 ans. En cause la crise sanitaire qui vient s’ajouter à l’absentéisme des enfants de cette communauté. « Ces familles développent des réflexes surprotecteurs vis-à-vis de leurs enfants et beaucoup ont peur », souligne Carole. « Avant le confinement du printemps dernier, je leur tenais des paroles rassurantes, mais la communauté a connu des décès et avec la fermeture des écoles, la peur s’est installée. C’est tout un travail de longue haleine qui s’effondre », analyse de manière dépitée la directrice. L’absentéisme des enfants gitans c’est la préoccupation première des écoles qui les accueillent. À Perpignan, cette acuité est d’autant plus grande que les gitans se répartissent sur seulement quelques écoles. Une école leur est entièrement réservée au cœur du quartier Saint Jacques, par un savant découpage de la carte scolaire. « En 2005, de dramatiques affrontements meurtriers entre les communautés gitanes et maghrébines se déroulent dans le quartier sur fond de trafic de stupéfiants », se souvient Jean Casanova, psychologue de l’Éducation nationale sur le secteur, aujourd’hui en retraite. « L’école est désertée et la commune et l’inspection académique décident alors de faire de la Miranda une école expérimentale avec des moyens dédiés spécifiques ». L’école s’ouvre alors aux familles et « des mamans viennent assister à la classe », raconte encore Jean. « Le matin, des médiatrices employées par la mairie vont même taper aux portes du quartier pour tenter de convaincre de venir à l’école. C’est un quartier très déshérité, mais il est l’objet de toutes les attentions ».
Une école dédiée
L’école de la Miranda est une petite merveille bâtie au droit de l’église Saint Jacques de Perpignan au cœur du quartier. « La mairie de l’époque avait parié sur le fait qu’une école implantée sur place allait aider les familles et les enfants à la fréquenter », indique Emmanuelle Dompnier, directrice de ce groupe scolaire qui comprend une maternelle et une élémentaire. « Un choix qui a entraîné de facto une absence complète de mixité scolaire fort dommageable. Mais c’est un pari perdant pour une école qui est devenue communautaire. Depuis quinze ans, on n’avance pas » analyse-t-elle. Ce matin-là, les sept classes n’accueillent que quatorze élèves au total. « Une moyenne de 10 enfants le matin et 90 l’après-midi sur 240 inscrits », précise la directrice. Il y a bien quelques réussites avec les enfants de celles et ceux qui ont fréquenté l’école, il y a peu. « On commence à avoir des toutes petites sections qui viennent à l’école et pour l’équipe, c’est une petite victoire que des mamans gitanes acceptent de nous confier leur enfant si jeune », se rassure-t-elle. Et l’équipe ne lâche rien. Aidée par les deux médiatrices de l’école, Emmanuelle dresse avec régularité la liste des enfants absents. « J’effectue 90 signalements par mois, près de 800 à l’année. Quelques familles ont dû suivre des stages de parentalité, mais sur la trentaine que j’ai pu recenser, aucune n’a remis son enfant à l’école », constate-t-elle non sans une certaine amertume.
La piste pédagogique
La place et le rôle donnés à l’école restent encore très limités au sein de la communauté. « Nous, on ne veut pas devenir avocat est une phrase qui revient souvent », rapporte Jean-Paul Bianchi, IEN chargé de mission pour les enfants gitans. « Ils pensent que lire, écrire, compter ça suffit, ce qui explique un plus fort absentéisme à partir du cycle 3 ». Pour autant, cet IEN soutient que ces enfants ont des besoins éducatifs particuliers parmi d’autres et que seule cette prise en compte permettra de progresser. Les pistes pédagogiques ne manquent pourtant pas dans les écoles concernées. « Ce sont des trésors que développent les équipes » concède l’inspecteur. « On a tenté énormément de projet, on individualise les parcours. On a essayé les ceintures de comportements, les classes flexibles… », raconte Carole, la directrice d’Hélène Boucher. « Parfois, il y a quelques frémissements, auxquels on s’accroche, mais ce n’est pas très satisfaisant. C’est sur le plan du climat scolaire, de la violence physique et verbale que les résultats sont les plus probants », analyse-t-elle. « La difficulté pour les enseignants est d’être en permanence dans l’incertitude de qui et de combien vont être présents. Et c’est remis en cause à chaque demi-journée », explique encore Emmanuelle, directrice de la Miranda. « Sur l’équipe, on a réussi à faire venir une enseignante spécialisée en pédagogie Montessori, c’est un souffle qui nous apporte une dynamique intéressante, mais ça ne fait pas tout », poursuit-elle. Toutes deux se sentent parfois un peu abandonnées au gré des enjeux politiques municipaux qui ménagent particulièrement la communauté pour des raisons proprement électoralistes. La nouvelle municipalité RN ne semble pas davantage vouloir renverser la table. « C’est une communauté qui a besoin d’être rassurée », explique Sophie Blanc, adjointe au maire en charge des affaires scolaires. « L’école de la Miranda est une des écoles les plus jolies de la ville et si on l’enlève, on a peur qu’ils n’aillent pas ailleurs. Même si l’effectif est très bas, il faut la maintenir ». Avec le mois de juin qui arrive, l’année scolaire qui n’a pas commencé pour certains se termine déjà pour les élèves de la communauté gitane. Beaucoup partent en vacances pour les trois mois d’été dans les campings de bord de mer, non loin de Perpignan. L’équipe de la Miranda est déjà tournée vers la rentrée et espère que la crise sanitaire dépassée, les enfants vont davantage revenir à l’école.
« On n’est pas des Payous* ! »
« Les gitans sont des gitans, ni des tziganes, ni des gens du voyage », explique Rubio Yoanna, anthropologue à l’école des Hautes études en sciences sociales (EHESS) et elle-même issue d’un mariage mixte entre une maman gitane et un père Payou. « Tout faire pour ne pas ressembler aux Payous est ce qui les définit encore le mieux », explique-t-elle encore. Aussi la mise en jeu des stéréotypes les concernant réactualise et entretient la frontière avec les « Français » selon leur propre terme. Ils constituent un groupe très soudé et solidaire qui n’hésite pas à envahir de manière massive des espaces publics, parfois bruyamment. « Quand on est gitan, il faut aussi savoir faire « gautch », indique encore l’anthropologue, « c’est-à-dire se tenir convenablement, savoir faire plaisir mais aussi savoir faire dans l’excès pour scandaliser le Payou ». Ainsi la communauté sait transformer les instruments d’assignation qui lui sont attribués en des instruments d’émancipation. « C’est un patrimoine immatériel très fort, » indique encore la chercheuse, « qui induit un processus d’intériorisation de ces façons d’être pour maintenir les autres à distance ».
* Les Français, les autres, en catalan.