Les gangs et l'école
Mis à jour le 23.03.21
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Quand un quartier de Nîmes est gangréné par la pauvreté, le chômage et le trafic de drogue
Le quartier Chemin bas d’Avignon à Nîmes (Gard) est miné par la pauvreté, le chômage et le trafic de drogue qui menace la sécurité de la population. Enseignant•es, parents, associations et pouvoirs publics veulent croire au renouveau
Un territoire oublié
Le Chemin Bas d’Avignon, 7 000 habitant•es, est un quartier défavorisé de l’agglomération nîmoise,
6e ville la plus pauvre de France. 60 % des personnes vivent sous le seuil de pauvreté
avec un niveau de vie médian inférieur à 11 000 euros annuels (21 250 euros en 2018 en France).
Le taux d’emploi des 15-64 ans du quartier est particulièrement bas (30 %) et les emplois
bien souvent précaires. Les logements sociaux représentent 95 % de l’habitat.
« Monsieur le Président de la République… les conditions de sécurité élémentaires que l’on peut attendre d’un état de droit ne sont plus assurées ». Le quartier Chemin Bas d’Avignon à Nîmes (Gard), l’un des plus pauvres de France, zone sinistrée économiquement et socialement, s’il n’a jamais été un coin tranquille subit depuis 3 ans un déferlement de violence dû à l’intensification du trafic de drogue. Fusillades, morts, intrusion dans les écoles mettent à mal la sécurité des habitant•es. Les neuf directrices et directeurs d’école du quartier se sont adressés début janvier au chef de l’État. Ils alertent sur la violence qui enflamme le quartier car au-delà du danger, « les conditions de scolarité dans nos établissements ne sont pas les mêmes que pour les autres écoles de France. Ceci pénalise encore un peu plus les élèves dont nous avons la charge ».
Ici, le couvre-feu est imposé dès 17h par les parents qui craignent les règlements de compte et les balles perdues. « On se demande toujours qui sera le prochain », se désole une mère qui voit dans cet état de fait l’échec de toute une société « dont les victimes sont nos enfants ».
« Une des premières problématiques de ces quartiers où il n’y a aucune mixité sociale, c’est que le droit commun, celui du logement et de l’emploi, n’y est pas assuré », constate Amal Couvreur, vice-présidente du Conseil départemental du Gard.
Une école dans la tourmente
« Depuis près de 3 ans, le trafic de stupéfiants s’est densifié autour de l’école avec « le drive » des garages du Portal, l’immeuble des guetteurs, les rues barrées », explique Christophe Boissier, directeur de l’élémentaire Bruguier. Mais les tirs et les intrusions des dealers dans l’école ces derniers mois ont fait monter la tension d’un cran. Les drogues dures ont remplacé les douces et l’afflux d’argent a déclenché des guerres de territoires. Les personnels ont exercé leur droit de retrait suite à des violences en décembre dernier. Et même si l’équipe est très motivée, « certains songent à demander leur mutation », poursuit le directeur.
Le SNUipp-FSU30 a interpellé le DASEN sur le manque de suivi psychologique et l’absence de médecin de prévention depuis deux ans. Un sentiment d’insécurité qui impacte aussi l’enseignement. « On ne va plus au gymnase, il n’y a plus aucune sortie », regrette Jérémie Bonnin, un enseignant de l’école. Plus de café des parents, moins d’espace d’échanges… la crise sanitaire n’a rien arrangé. « Le “quoi de neuf” du matin tourne autour de la peur des enfants et on a multiplié les équipes éducatives », souligne Christophe. « L’inspection nous laisse trouver les solutions mais nous n’allons pas résoudre les problèmes du quartier », rapporte Magalie Lavinaud, une autre enseignante.
Réponses sécuritaires d'urgence
Si les pouvoirs publics ne sont pas restés sans rien faire depuis plusieurs années, ils semblent impuissants à empêcher une aggravation de la situation. « En juin, suite à la mort d’un jeune dans le quartier, nous avons délocalisé temporairement l’école Bruguier », explique Véronique Gardeur-Bancel, adjointe à l’enseignement. « Nous avons relevé le grillage d’un mètre supplémentaire autour de l’école et la police municipale est présente aux entrées et sorties des élèves. » Julien Plantier, premier adjoint au maire de Nîmes, demande à l’État de mettre plus de moyens à long terme : « On nous promet 13 policiers supplémentaires alors qu’il en faudrait 50 ». Pour lui, la réponse doit être aussi judiciaire.
À la préfecture du Gard, on estime que la police est très présente tout au long de l’année « mais les renforts de CRS ne sont pas une solution à long terme », précise Lulia Suc, directrice de cabinet du préfet. « C’est une lutte de territoires où beaucoup de mineurs sont impliqués ». La police judiciaire a démantelé deux organisations dont les leaders ont été mis en examen. Mais les trafics continuent et les parents d’élèves, reçus en préfecture, s’en inquiètent. « Nous mettons en place des conseils citoyens » poursuit Lulia Suc. La question de la cohérence et la coopération entre les pouvoirs publics se pose pour rendre leurs actions plus efficaces.
Mais c’est avant tout à la racine et au plus près du terrain qu’il faut agir. « Face aux faits de violences entre jeunes, privilégions l’action sociale, l’éducation et la médiation ! » titrait dernièrement une tribune de professionnels de l’éducation et du social, acteurs de la justice des mineurs, représentants du monde associatif.
Et en attendant ?
Sur le terrain, les habitants sont actifs et impliqués pour leur quartier. Les nombreuses associations (CS Malraux, Feu Vert, Association Samuel Vincent, Association de Prévoyance Santé, Aux quatre coins des mots…) et leurs personnels, parfois bénévoles - médiateurs, accompagnants, psychologues, éducateurs, adultes relais - sont présentes dans tous les domaines. Apprentissage de la langue française, intégration et citoyenneté, accompagnement éducatif, lieux de prévention et de prévention spécialisée, prise en charge de la santé mentale, lieu de parole, d’écoute et d’orientation… Si les femmes, les mères et les enfants fréquentent assidument ces lieux, les associations soulignent l’absence des pères, souvent désarmés, et les conflits intergénérationnels. Le mal qui ronge le quartier est profond et enraciné, sans modèle d’intégration valorisé. « Les 16-25 ans ne profitent pas de la solidarité nationale », regrette Amal Couvreur. « Il faut donner une chance à nos enfants. Ici on nous entasse les uns avec les autres dans la misère. Hors du quartier, c’est un autre monde où ils ne se sentent pas à leur place », se désole une mère de famille.
Le nouveau plan de rénovation urbaine (voir ci-dessous) sera-t-il la solution à long terme ? Chacun veut y croire dans ce quartier où le seul modèle de réussite est l’argent de la drogue.
Rénovation, la solution miracle ?
Les bâtiments du quartier ont été construits en urgence dans les années 60 pour accueillir la première vague d’immigration maghrébine et faire face à l’exode rural. Mais ils n’étaient pas édifiés pour durer et se sont beaucoup dégradés. D’où l’espoir que suscite le nouveau plan de rénovation, conçu avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). « Trois quartiers de Nîmes sont au cœur du projet. La convention NPNRU** représente 470 millions d’euros. C’est une approche globale urbanistique, urbaine et démocratique qui vise aussi à mettre en cohérence les projets éducatifs et sociaux », explique François Courdil, adjoint en charge de la politique de la ville. Aménagement urbain, végétalisation, offres commerciales et de service, mobilité, accès aux soins, équipements structurants… pour « casser l’effet de ghetto » et créer de la mixité sociale. État, collectivités, bailleurs sociaux, tout le monde met la main à la poche. Un projet qui comprend aussi des clauses d’insertion. Mais quand les difficultés économiques et sociales des habitants sont anciennes et récurrentes, une rénovation urbaine sera-t-elle suffisante ?
*NPNRU : Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain.