Marseille, le prix de l'expérimentation
Mis à jour le 25.11.21
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Marseille expérimentera à la rentrée un dispositif controversé de la direction d’école.
Marseille a été désignée par le président de la République pour expérimenter à partir de la prochaine rentrée scolaire un dispositif controversé de la direction d’école. Pas de texte, des directions d’écoles appelées individuellement par les IEN pour postuler… Une expérimentation très opaque dénoncée par le SNUipp-FSU.
Marseille, quartiers Nord. Enclavée entre des entreprises du bâtiment et des immeubles délabrés, l’école Canet Ambrosini n’est guère accueillante avec ses peintures défraichies et ses locaux exigus. « Pour motiver les gens à venir travailler ici, ce qu’il faut, ce sont des locaux corrects, de bonnes conditions de travail, des tatas* en nombre, des enseignants remplacés… », explique Carole Allione, directrice de l’école. Alors, dans cette petite école maternelle, l’annonce par Emmanuel Macron de l’expérimentation d’un nouveau dispositif pour les directions d’école est loin d’être une réponse aux problèmes du quotidien. Le lundi de la rentrée des vacances, c’était journée sans chauffage… Quelques semaines auparavant, il pleuvait dans l’école. Résultat, pas de classe pour les élèves pendant deux jours et lorsqu’une enseignante est partie en congé maternité, il a fallu trois semaines pour qu’arrive un remplaçant… contractuel. Bref, des directeurs et directrices qui peuvent choisir leurs enseignants, qui peuvent repenser les rythmes scolaires et la durée des cours, ce n’est pas une priorité pour Carole. Du côté des parents, même son de cloche : « Nous, on veut du mieux, explique Séverine Gil, présidente de l’association de parents d’élèves MPE13. Des projets, oui, mais dans les 470 écoles et pas que dans 50 que l’on aurait triées. Cela va encore créer des inégalités avec des endroits où il y aura pléthore de moyens et d’autres qui feront avec deux bouts de ficelle ».
Une rupture d'égalité
Pour Virginie Akliouat, secrétaire départementale SNUipp -FSU des Bouches-du-Rhône, « c’est une fausse réponse apportée aux problèmes rencontrés que sont le manque de moyens humains et financiers, qui empêchent de réaliser des projets dans les écoles marseillaises. Tout ce qui a été proposé par Macron, que ce soit la contractualisation des moyens qui met les écoles en concurrence et qui crée une rupture d’égalité au niveau des élèves ou, que ce soit dans le cadre réglementaire le recrutement de postes à profil, rien ne justifie que des compétences particulières soient nécessaires et encore moins le recours à un recrutement particulier en dehors des règles du barème ».
Aucun texte officiel
À la rentrée, cinquante écoles, qui auront été sélectionnées pour participer à l’expérimentation, bénéficieront d’un budget conséquent selon Lilia Benlabidi, responsable de la cellule communication à la DSDEN. « Je ne peux encore répondre de façon définitive sur le budget qui sera alloué mais il y aura bien une enveloppe spécifique. Les enseignantes et enseignants seront recrutés en fonction de leur motivation et de leurs qualifications ». A priori, les directions d’école siégeront au sein de la commission de recrutement. Mais le souci est qu’il n’existe aucun texte, aucune circulaire qui définissent les contours de l’expérimentation. Pourtant, des équipes éducatives ont fait le choix de postuler. À l’extrême nord de la ville, l’école du Parc Kallisté est située dans un cul-de-sac, au milieu de cités ghettos tout aussi délabrées que l’école. François Bienaimé et son équipe ont envie d’y croire. « La circonscription nous a contactés nous proposant de faire partie de l’expérimentation, un projet d’envergure tant sur le plan financier que sur la possibilité de partenariats, explique le directeur. Alors on s’est lancés, on a proposé un projet musique, on demande des postes supplémentaires, un coordonnateur du projet, un poste médico-social - qui serait chargé de faire le lien avec les différents partenaires médico-sociaux -, mais aussi des intervenants extérieurs experts qui nous apporteraient leur savoir-faire ». Loin d’être un énième projet rédigé à la hâte, pour l’équipe de l’école Kallisté, c’est l’occasion de renforcer et de redynamiser le collectif, qui a énormément souffert depuis la crise sanitaire. « Pour nous, ce projet relève d’une élaboration collective. Le collectif, c’est l’ADN de l’école primaire ». Malgré le temps et l’investissement de l’équipe, rien à ce jour ne permet d’imaginer la faisabilité d’un tel projet, sauf l’envie d’y croire…
Une contrepartie au financement de la rénovation ?
L’annonce de la création de 50 écoles « laboratoires » à Marseille par le président de la République était concomitante du lancement du plan « Marseille en Grand ». Difficile de ne pas y voir un conditionnement de l’aide à l’application de l’expérimentation, ce que réfute Pierre-Marie Ganozzi, adjoint au maire en charge du Plan école.
« L’expérimentation n’est pas de notre compétence. Si certaines écoles font partie des 174 à rénover ou à construire (voir focus), tant mieux, ça permettra de réfléchir à une architecture adaptée au projet ». Toutefois, au bureau du préfet « Marseille en Grand », on n’est pas si catégorique. « Même si l’expérimentation ne conditionne pas les financements, il faut que la liste des écoles à rénover recoupe celle des écoles retenues pour l’expérimentation. S’il y a une innovation pédagogique, il serait bon que les infrastructures suivent ». Pas question pour l’État, qui participe au financement des rénovations, de payer deux fois. Mais le SNUipp-FSU estime quand même « que l’expérimentation est une contrepartie à l’engagement financier de l’État pour la rénovation des écoles de Marseille ». À la rentrée 2022, cinquante écoles marseillaises entreront dans l’expérimentation et devraient se voir allouer des moyens afin de monter des projets « innovants », des écoles que l’institution a encore du mal à trouver…
*Nom que l’on donne à Marseille aux Atsem (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) et aux agents de cantine.
Focus 1,2 MILLIARD
C’est le budget annoncé pour la remise en état des écoles marseillaises. 820 millions pour la réhabilitation complète des 174 écoles les plus critiques, et un peu plus de 300 millions pour l’entretien courant des 300 autres. Un plan exceptionnel répondant à l’état de délabrement de nombreuses écoles. La PE et lanceuse d’alerte Charlotte Magri avait en 2016 dénoncé cette situation dans une lettre ouverte parue dans Libération. La ministre de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem, avait débloqué trois millions pour lancer des études, mais l’ancien maire Jean-Claude Gaudin n’avait pas pour autant levé le petit doigt. La nouvelle majorité, dès son arrivée aux rênes de la ville, a, quant à elle, débloqué 30 millions d’euros pour parer au plus urgent. Alors, le volet école du plan « Marseille en Grand », soutenu par l’État, se présente comme une véritable aubaine. Annoncé par le président Emmanuel Macron lors de ses déplacements dans la cité phocéenne en septembre et octobre derniers, le plan engage l’État à hauteur de 50% des investissements nécessaires, le reste étant à la charge de la municipalité. Pour la première tranche, sur un montant de 410 millions d’euros, 256 ont été votés par l’Assemblée nationale. Reste maintenant à trouver le système qui permettra de pérenniser le dispositif dans le temps, la constitution d’une société ad hoc est en cours d’élaboration.