Moins de temps dehors
Mis à jour le 04.10.22
4 min de lecture
Itv de Clément Rivière, maître de conférences en sociologie
“Les enfants passent moins de temps dehors”
Clément Rivière est maître de conférences en sociologie à l’université de Lille, auteur de Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et Milan (Presses universitaires de Lyon, 2021).
La présence des enfants sans adulte dans les espaces publics des grandes villes occidentales a décliné au cours des dernières décennies à la fois du point de vue de la durée mais aussi du rayon de mobilité.
Les enfants investissent moins les espaces extérieurs en ville, pourquoi ?
La diffusion massive de l’automobile a entraîné la réduction de l’espace disponible pour le jeu libre des enfants. Les véhicules motorisés sont un danger central dans les représentations parentales et contribuent, par ailleurs, à la pollution atmosphérique. Pour les parents, l’idée de laisser son enfant aller faire du sport ou aller jouer dans la rue un jour de pic de pollution, n’est pas la meilleure des idées. Tout au long du XXe siècle, les enfants sont de plus en plus perçus comme des êtres vulnérables qu’il convient de protéger des voitures mais aussi des mauvaises rencontres. Les normes de « bonne » parentalité évoluent. Un « bon » parent au début du XXIe siècle n’est pas celui qui laisse son enfant seul dans la rue mais celui qui le protège et contrôle de manière assez poussée la façon dont l’enfant utilise les espaces publics sans lui.
Existe-t-il un lien entre l'absence des enfants dehors et les progrès techniques ?
On ne peut pas comprendre les usages que les habitants des villes font des espaces publics sans prendre en compte l’apparition de tout un ensemble de machines qui vont, avec le temps, permettre de rester davantage chez soi comme le réfrigérateur, la machine à laver ou la télévision. Cette dernière est un marqueur important de la transformation des styles de vie avec le divertissement à domicile. Sur une période plus récente, l’apparition d’ordinateurs de maison, consoles de jeux vidéo, tablettes, smartphones, le développement d’Internet et des réseaux sociaux font que l’on peut faire beaucoup plus de choses tout en restant chez soi. Les enfants peuvent jouer, échanger avec des amis sans sortir. Ils passent moins de temps dehors.
Comment s'expliquent les usages différents des espaces urbains ?
Quand on est nombreux dans un petit logement, les espaces publics représentent davantage une ressource pour les enfants et leurs parents. C’est une des raisons pour lesquelles il y a davantage d’enfants des milieux populaires dans les espaces publics aux environs immédiats de leur domicile, notamment des barres d’immeubles. La question des emplois du temps des enfants, assez différenciés socialement, explique aussi les différences d’usage. D’un côté des enfants avec un emploi du temps extra-scolaire extrêmement investi par les parents, un temps libre disponible pour l’enfant relativement réduit et où les espaces publics sont surtout utilisés pour se déplacer. De l’autre, des enfants avec peu ou parfois pas d’activités extra-scolaires, un temps libre beaucoup plus important, passé davantage dans les espaces publics. Mais les parents envisagent aussi les pratiques autonomes de manière différente selon le sexe et ce, quel que soit le milieu social. De 8 ans jusqu’à la puberté, davantage d’autonomie est laissée aux filles considérées comme plus matures, respectueuses des règles, capables d’anticiper des situations dangereuses. Cela change assez brutalement avec les transformations corporelles qu’elles connaissent. Il y a le sentiment partagé que de nouveaux risques apparaissent avec en toile de fond la crainte de l’agression sexuelle. Des consignes spécifiques relatives à la manière de s’habiller, de se comporter en public sont transmises. Dans le même temps, les garçons sont progressivement perçus comme mieux capables de se défendre et moins exposés aux prédateurs.
Quel rôle joue l'école ?
Elle joue un rôle important. Les trajets pour l’école et depuis l’école sont très structurants de l’expérience des enfants et de leurs parents. La question de la proximité physique de l’établissement scolaire est vraiment décisive, notamment à l’école primaire, pour expliquer l’âge des premiers trajets réalisés en autonomie. Plus l’école est près de la maison et plus il est probable que l’enfant aille tôt ou rentre seul de l’école. Lorsque l’enfant n’est pas scolarisé dans son quartier, le rapport à la mobilité est différent avec un usage anticipé des transports en commun, dans les grandes villes du moins. De manière générale, le passage au collège marque souvent la fin de l’accompagnement parental.