“Offrir des zones de discussion pour inclure tout le monde ”
Mis à jour le 05.10.20
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Interview de Céline Buchs, docteur en psychologie sociale
Céline Buchs est docteure en psychologie sociale et maîtresse d’enseignement et de recherche à l’université de Genève dans le domaine Processus sociocognitifs et interactions sociales. Elle intervient dans la section des sciences de l’éducation et la formation (initiale et continue) des enseignant•e•s.
Quels sont les apports du collectif classe pour les apprentissages des élèves?
Le collectif va agir sur la motivation des élèves. Il y a trois besoins psychologiques importants pour soutenir la motivation : le besoin d’autonomie, de compétences et d’affiliation. Le collectif va venir soutenir et nourrir ce besoin d’affiliation. Il va aussi permettre aux élèves de s’appuyer les uns sur les autres et d’avoir plusieurs entrées dans les apprentissages. La relation avec l’enseignant est bien sûr l’entrée privilégiée mais les pairs peuvent aussi avoir un rôle important de proximité. Entre eux, les élèves ont les mêmes intérêts, la même manière de parler et comprennent plus facilement les difficultés de leurs camarades. Le fait de mettre en mots pour quelqu’un d’autre permet d’apprendre ou de mieux comprendre ou même de s’apercevoir qu’il y a des choses qu’on n’a pas bien comprises et donc sur lesquelles on va être alerté et curieux.
Cela permet-il réellement l’élévation du niveau scolaire?
J’aurais tendance à dire oui, dans la mesure où cela créé une dynamique et que cela embarque un peu plus d’apprenants. Certains vont rentrer dans les apprentissages parce qu’ils sont intéressés mais d’autres peuvent y rentrer parce qu’ils sont entraînés par cette émulation collective. Cela peut aussi élever le niveau car à partir du moment où on utilise le collectif, qu’on le transforme en groupe d’interactions entre pairs, cela permet à un maximum d’élèves d’être en position d’acteurs. Ils vont verbaliser, discuter des connaissances et des apprentissages et discuter, cela permet de mieux comprendre !
S’appuyer sur les pairs, à qui cela profite-t-il ?
À ceux qui sont actifs ! Dans les études qui portent sur le tutorat, on voit que cela bénéficie à la fois à celui qui apporte des explications et à celui qui en reçoit. En mettant tout le monde en interaction celui qui apporte, qui verbalise, va profiter au maximum du fait d’être acteur. Le risque est de donner l’opportunité à des élèves qui sont un peu plus avancés de consolider davantage leurs acquis, de gagner en confiance en eux, tandis que d’autres seraient toujours en position d’être aidés. L’idée est donc de mettre chacun en position de pouvoir discuter pour pouvoir progresser dans ses propres apprentissages.
“Arriver à faire comprendre à la classe que ce qui est intéressant ce sont les doutes,
les questions et les différences d’appréciation.”
Quelles conditions pour apprendre ensemble ?
La confiance qu’accorde l’enseignant à ses élèves pour leur laisser la possibilité de discuter et d’apprendre entre eux. La confiance des élèves vis-à-vis de leur enseignant. Souvent les élèves se demandent : où est le piège ? Ils ont parfois dans l’idée que si on leur donne la parole c’est uniquement pour dire la bonne réponse. C’est une vraie difficulté de faire comprendre à la classe que ce qui est intéressant ce sont les doutes, les questions et les différences d’appréciations. Il y a aussi la confiance entre élèves, discuter avec quelqu’un c’est prendre un risque et s’exposer. Il revient à l’enseignant de créer les conditions pour que chacun se sente autorisé à prendre la parole, soit amené à la prendre et soit à l’aise pour le faire.
Quels sont les obstacles ? Comment les surmonter ?
Les élèves n’ont pas toujours l’habitude de travailler ensemble. Notre société encourage l’individualisme. Certains élèves ont compris que pour être de bons élèves il faut se montrer meilleurs que les autres, plus rapides, plus percutants. Il faut donc être attentif à ne pas valoriser uniquement la parole des plus rapides. Il y a aussi tout ce qui fait obstacle à des interactions sereines : les difficultés relationnelles, la langue ou encore l’interdépendance dans le travail collectif. Si on est tous liés les uns aux autres, s’il y en a un qui n’y arrive pas, cela peut pénaliser le groupe. L’enseignant va devoir mettre des filets pour que chacun puisse apporter quelque chose sans mettre en porte à faux ses camarades. L’idée est d’offrir des petites zones de discussion, d’avoir des petites équipes pour pouvoir avoir des interactions face à face, les uns avec les autres, pour inclure tout le monde. Il convient aussi de décoder les implicites, de dire ce qui est attendu et les manières de s’y prendre pour bien travailler ensemble. Un retour sur comment ça s’est passé, qu’est ce qui s’est bien passé, qu’est-ce qu’on pourrait améliorer est aussi essentiel.