“Plus de maîtres”, moins d'isolement

Mis à jour le 29.11.24

5 min de lecture

Co-enseigner, un fonctionnement qui ouvre de nombreux possibles pédagogiques.

Le dispositif « Plus de maîtres que de classes », en voie de disparition, ouvre pourtant de nombreux possibles pédagogiques, comme à l’école Jacques Prévert de Guéret dans la Creuse.

« Je peux enseigner avec l’autre collègue dans la classe, prendre des petits groupes ou décloisonner. En fonction des besoins identifiés et de l’organisation pédagogique la plus utile, je m’adapte !». Antoine Weens occupe pour la deuxième année consécutive dans l’école Jacques Prévert à Guéret un poste en voie de disparition au niveau national : maître surnuméraire ou « plus de maîtres que de classes ». Ce dispositif constitue pourtant une aide précieuse dans le quotidien de l’école. Véronique Godard, PE en CE1-CE2, le dit d’ailleurs spontanément : « Si j’avais travaillé seule cette après-midi, j’aurais dû donner à certains élèves des exercices de consolidation pour me consacrer à un groupe. Là, ils sont tous impliqués dans un travail de réflexion ».

Elle mène avec Antoine une séance intense de lecture théâtralisée. L’objectif est d’identifier l’importance d’une bonne compréhension du texte et le rôle joué par la ponctuation pour une lecture orale réussie. « Le but est qu’ils écrivent, ensuite, des dialogues qu’ils pourront jouer », précise-t-elle. Pendant que certains élèves s’entraînent armés de chuchoteurs ou se font enregistrer sur un téléphone par le maître, d’autres éprouvent une grille de critères de réussite pour analyser la lecture d’une élève déjà enregistrée.

Être en petit groupe permet d’échanger plus facilement sur l’articulation, le débit, le volume, les émotions et le sens du texte mais aussi de faire des suggestions. « On pourrait filmer le deuxième essai pour voir ses gestes », avance Maël. La proposition est aussitôt retenue. Le groupe sort avec l’enseignante dans le jardin jouxtant la classe pour filmer la nouvelle prestation. Pendant ce temps, Antoine pratique aussi une écoute active d’enregistrements avec les autres élèves avec moins de critères à prendre en compte pour l’instant. « Suite à nos évaluations de fin de période, nous avons construit la séance en ciblant des compétences de travail identiques avec une progression différente selon les difficultés des élèves », explique-t-il.

RÉPONDRE AUX SPÉCIFICITÉS DES ÉLÈVES

Les modalités d’intervention d’Antoine varient selon les objectifs visés. Ainsi, en CP-CE1, il s’adapte au rythme des élèves et propose à un petit groupe un temps de manipulation supplémentaire nécessaire pour arriver à une construction plus solide du nombre. Lorsqu’il arrive dans la classe des 25 CM1-CM2 en cette fin de vendredi pour un temps d’étude de la langue, sa prise en charge des élèves de CM1 et la mise en autonomie de certains CM2 offrent à l’enseignante de la classe la possibilité de consacrer un temps précieux à ses élèves allophones pour travailler les différents types de phrases.

Quelles que soient les modalités proposées, le co-enseignement permet de maintenir tous les élèves dans les apprentissages avec un haut niveau d’exigences. « Le travail en petit groupe me donne aussi l’occasion d’avoir plus d’échanges informels avec les élèves. Cela favorise la confiance et c’est primordial pour qu’ils puissent apprendre », ajoute Sandra Marzeau, autre enseignante de CM.

“LE CO-ENSEIGNEMENT PERMET DE MAINTENIR TOUS LES ÉLÈVES DANS LES APPRENTISSAGES AVEC UN HAUT NIVEAU D’EXIGENCES.”

UN ENRICHISSEMENT ENTRE PE

Cette école, bien que située dans un quartier politique de la ville n’est pas classée en éducation prioritaire. Pourtant, l’équipe enseignante est confrontée à de nombreuses difficultés sociales et scolaires. Le dispositif « Plus de maîtres », s’il n’allège pas les effectifs au quotidien, conduit à d’autres types de réponses. « Nous tentons des pratiques nouvelles et cela m’a permis de me lancer dans des écrits longs ou de mettre en place des jeux en maths ou en orthographe, note Sandra. Seule, je ne l’aurais pas tenté. »

« Co-enseigner implique aussi de préparer à deux, apprécie Antoine. L’un a une idée, l’autre rebondit et on se met d’accord, on peaufine. Tout le long des séances, on ajuste ensemble ». « Humainement, c’est aussi un soutien et tous nos échanges permettent de prendre du recul et d’avoir un autre regard sur nos pratiques », ajoute Sandra. Les échanges sont, en effet, très nombreux et Antoine jongle entre les discussions informelles, les bilans rapides le soir, les ajustements par mail ou les réunions de travail le mercredi ou pendant les vacances. Il essaie de s’adapter à chaque membre de l’équipe, leurs outils, leurs pratiques, condition qu’il juge nécessaire pour que son intervention soit efficace, tout comme une bonne connaissance entre PE.

Dans cette école d’application, les PEMF * sont habituées à ouvrir leur porte mais « pour co-enseigner, il faut accepter de partager l’espace, d’adapter son volume sonore, reconnaît Véronique. Cela peut être coûteux ». Ce dispositif entraîne contraintes et temps de concertation supplémentaires mais l’équipe, face aux bénéfices qu’il apporte au niveau des résultats et du climat scolaire, compte sur sa pérennisation.

*Professeurs des écoles maîtres formateurs.

RACHEL HARENT, chercheuse en sciences de l’éducation et de la formation au CREAD-Bretagne Rennes 2*

Rachel Harent

QU’EST-CE QUE LE CO-ENSEIGNEMENT ?

Co-enseigner, c’est co-planifier, co-animer et co-évaluer. C’est une démarche pédagogique particulière où les enseignants peuvent décider de réunir leur classe pour un projet particulier, sur un temps donné, une fois par jour ou par semaine ou, plus encore, faire « tomber les murs » et travailler ensemble toute l’année. Les classes dédoublées avec leur petit effectif sont une opportunité pour démarrer un co-enseignement.

QUELS BÉNÉFICES POUR LES ÉLÈVES ?

En concourant à une meilleure observation des élèves au travail, il permet un enseignement au plus proche de leurs besoins et facilite l’accessibilité des apprentissages. Être deux amène aussi une multiplication des entrées pédagogiques et une variation des modalités d’apprentissage favorables à une école plus inclusive; les PE sont davantage dans l’anticipation que la remédiation. Le co-enseignement entraîne enfin plus d’interactions, de coopération entre élèves en classe et un climat de classe amélioré au bénéfice de leurs apprentissages.

ET POUR LES PE ?

Il est un point d’appui pour sortir de son isolement et les PE y trouvent un soutien professionnel. Échanger avec son collègue, discuter de gestes professionnels du quotidien, préparer ensemble dans un souci de cohérence des apprentissages,
clarifier les objets d’enseignement, les objectifs visés renforcent le sentiment d’efficacité. De plus, voir l’autre travailler nourrit sa propre pratique et participe d’un développement professionnel. Enfin, c’est l’occasion de mieux penser l’école inclusive et il procure souvent une nouvelle dynamique dans sa façon d’enseigner.

*Autrice de « Le co enseignement en pratique » Éd. Retz, 2023.

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