Pour un retour d’ascenseur social
Mis à jour le 29.11.24
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L'école Schoelcher à Montpellier est engagée dans la recherche Cipes
Dans le quartier du Pas du Loup à Montpellier, l’école Victor Schoelcher et les associations se mobilisent pour lutter contre le déterminisme social.
« Ce quartier enclavé manque de tout : transports, commerces, médecins, actions culturelles complémentaires à l’école », affirme Donalie-An Tran, coordinatrice de l’association « Entre et avec » qui anime des cours d’alphabétisation dans le quartier du Pas du Loup au nord-ouest de Montpellier (Hérault). 51% de la population y vit sous le seuil de pauvreté, 39% des familles sont monoparentales et un jeune sur quatre entre 16 et 25 ans est non scolarisé et sans emploi*. Les derniers évènements – l’incendie criminel de l’épicerie qui a fait deux morts – révèlent l’urgence d’écouter ce qu’ont à dire les habitants et notamment les habitantes.
« Les femmes font un travail invisible, il nous a semblé important de leur donner la possibilité de faire entendre leurs voix », explique Donalie-An. Lors des ateliers de cours d’alphabétisation, les mères ont rédigé une lettre pour dire comment le quartier se vit et ont fait part de leurs besoins d’accompagnement, de leur sentiment d’être démunies face aux sorties de route de leurs ados et aussi de la peur des représailles.
« La parole se libère, un réseau de connaissances se met en place grâce aux liens de confiance qu’a su tisser l’association ADT-Quart Monde présente ici depuis des années pour notamment du soutien scolaire et un accompagnement des parents avec Maryline Renard. Mais c’est aussi grâce à l’investissement des équipes enseignantes. L’école est le dernier service public dans le quartier », affirme Donalie-An.
*Source Insee, SIG ville, 2024.
L’ÉCOLE, CIMENT DU QUARTIER
Pour Majorie Khalkhal, directrice de l’école primaire Victor Schoelcher, « l’école doit tout mettre en œuvre pour inverser la tendance, faire en sorte que l’ascenseur social fonctionne ». Pour cette enseignante présente dans l’école depuis 17 ans, le lien avec les familles est essentiel, il est au cœur du projet d’école. Depuis qu’elle est directrice, elle invite les familles les plus en difficulté à scolariser leurs enfants dans le dispositif moins de 3 ans. « L’objectif est de créer très tôt un lien de confiance, rapporte Marjorie, de lutter contre l’illettrisme, de faire découvrir et rencontrer des partenaires de l’école comme la médiathèque ou le lieu d’accueil enfant-parent ».
Un fonctionnement qui séduit les familles. « Ce dispositif facilite l’entrée en petite section sans pleurs, les enfants apprennent à être propres et cela développe leur langage», détaille Rabia, mère d’élèves. Cela permet aussi de rencontrer les autres mamans et de participer à des animations proposées par l’école et de découvrir d’autres lieux ». Les parents peuvent aussi compter sur Marjorie pour les aider dans différentes démarches administratives. « L’équipe enseignante s’est toujours préoccupée de la situation socio-économique des familles, des modalités pour avoir les codes de l’école afin que les enfants réussissent mieux. Alors, quand ATD-Quart Monde a lancé la recherche-action Cipes (voir encadré ci-contre), l’école s’est portée volontaire ».
“Penser ensemble la question de la grande pauvreté sur le long terme”
LUTTER CONTRE LA FATALITÉ
Vincent Gevrey, chercheur en sciences de l’éducation qui accompagne l’école dans ce cadre depuis 2021, explique que « l’idée n’était pas de s’arrêter à un état des lieux mais de penser ensemble la question de la grande pauvreté sur le long terme ». Après avoir effectué des observations en classe, des entretiens avec PE, mères d’élèves et élèves, le chercheur constate que « les familles vivent et appréhendent l’école comme la chose la plus importante mais ne se sentent pas légitimes à s’occuper des devoirs, observer en classe ou donner leur avis sur l’orientation de leur enfant ».
Pour contrer cela, l’équipe du cycle 3 met en place cinq actions différentes. Une réunion de rentrée inversée où, durant une semaine, les élèves ont filmé l’arrivée à l’école et le travail en classe pour le présenter aux familles lors de la réunion de rentrée. Une classe ouverte où les parents assistent à une séance en classe précédée et suivie d’un entretien avec l’enseignante. Une fête des histoires où les familles sont invitées à la lecture d’albums après la classe. Une classe de CM1-CM2 afin que le lien de confiance ne soit pas à recréer l’année suivante et un café des parents où les familles échangent sur différentes thématiques.
Des actions ressenties comme positives par les familles et les PE mais qui n’ont pas toutes la même portée et dont il est parfois compliqué d’avoir une lecture selon le chercheur. « Les parents qui participent à ces actions sont les mamans qui sont déjà très investies à différents degrés dans l’école et déjà attentives à la scolarité de leur enfant. Demeure la problématique de comment atteindre les familles les plus éloignées ».
Si la diversité de ces actions a des limites, elle montre aussi « un pas de côté dans les pratiques du quotidien et donne un espace réflexif aux équipes enseignantes ». Selon Marjorie, « les mamans viennent plus facilement parler lorsqu’il y a un souci dans la famille, il y a une écoute attentive dans le parcours scolaire des enfants. Cela permet de réduire le conflit de loyauté des élèves avec leurs parents. C’est aussi un regard objectif sur tout le travail que nous avons mené, un sentiment de satisfaction, de fierté. Et même si toutes les difficultés ne sont pas résolues, cela nous encourage à poursuivre ».