Quand les langues se délient
Mis à jour le 10.11.20
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Reportage à Bagneux : faire vivre la laïcité...un long chemin reste à parcourir.
En cette rentrée, pour les élèves de CM1 de l’école Joliot-Curie à Bagneux (Hauts-de-Seine), l’actualité concerne surtout les mesures sanitaires. Mais petit à petit, les élèves parlent de la mort de Samuel Paty… Les éduquer à la liberté d’expression et faire vivre la laïcité sera un travail de longue haleine.
11 heures, plus un son. Chose assez rare dans l’école classée REP où seize classes se côtoient. La minute de silence est donc respectée, pour autant, pas sûr que les élèves aient tous compris les raisons de cet hommage. Pour l’expliquer, le matin même, Elsa Bouteville a fait ce qu’elle fait d’habitude : elle les a laissé parler. Dans cette classe de CM1 de l’école Joliot Curie à Bagneux (Hauts-de-Seine), ils commencent toutes leurs journées par un moment de regroupement, assis en cercle à même le sol. « Aujourd’hui est une journée particulière, pourquoi ? », les interroge-t-elle. Les réponses fusent, mais aucune n’évoque l’attentat de Conflans. « C’est parce qu’on doit porter des masques », « c’est parce qu’on est encore confinés ». Dix minutes de discussion autour de ce qui les impacte directement.
Pourtant, Elsa ne lâche pas prise, elle insiste. « Il y a autre une raison pour laquelle cette journée est particulière, laquelle ? ». C’est qu’elle veut en parler de l’attentat, elle veut pouvoir recueillir leurs paroles et les aider à comprendre l’enjeu de la minute de silence qui aura lieu un peu plus tard. Et là, enfin, Zara lève la main, « y a Samuel Paty qui a été décapité ». Toute l’horreur en une phrase. Les élèves comprennent enfin ce qu’attend d’eux Elsa, et les langues se délient. « Il a montré des caricatures alors il a été décapité », « il y a des gens qui n’ont pas aimé, alors ils l’ont attendu dehors et ils l’ont tué », « il a demandé aux élèves musulmans de détourner le regard ou de sortir, c’est du racisme envers eux ».
Confronter les idées
L’enseignante rebondit sur les propos des élèves qui ne semblent pas choqués outre mesure du meurtre de l’enseignant. « Donc pour vous, un enseignant qui fait cours peut être assassiné parce qu’il a montré des caricatures ? ». Un long silence suit cette question. Il faut reconnaître que peu d’élèves participent à la discussion mais les propos tenus par deux d’entre eux ne passent pas. « Je m’attendais à ce que certains élèves répètent les propos entendus dans les familles, mais ça chamboule quand même… Pendant quinze jours, ils n’ont entendu qu’un seul son de cloche et rien qui leur permette de confronter leurs idées ». Pour autant, Elsa n’abandonne pas, sa journée, et les suivantes, seront consacrées à la liberté d’expression et la laïcité qu’elle a déjà travaillées avec eux en début d’année. « Faut pas qu’on baisse les bras, le seul lieu où on peut encore changer les choses, c’est ici, à l’école ».