"Reconnaître le métier"
Mis à jour le 03.09.18
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F. Carraud et A.D Robert dressent dans leur livre un portrait socioprofessionnel des PE d'aujourd'hui
Françoise Carraud a écrit avec André D. Robert « Professeurs des écoles au XXIe siècle, portraits socioprofessionnels ». (PUF, 2018) Portraits pluriels d'enseignants motivés par la classe mais lassés de la bureaucratie.
Vous dressez le portrait des PE du XXIe siècle, quel est-il ?
Françoise Carraud: Tous les PE ne ressemblent pas au portrait moyen, il existe une grande variété des contextes de travail selon que l’on enseigne en ville à la campagne, en éducation prioritaire, dans le spécialisé. Cette variété nous a intéressés car même si tout le monde en parle le métier de PE reste méconnu. Or il a beaucoup évolué : les programmes et l’organisation du travail ont changé, comme les modes de recrutement et la formation, de Bac-3 à Bac+5 en une cinquantaine d’années. Ce livre vise à faire une synthèse sur le métier, à mieux le faire connaître et même reconnaître. Nous avons croisé une analyse statistique avec un travail sur les textes officiels, conduit de nombreux entretiens et observé dans les classes afin de tracer l’activité ordinaire, quotidienne de ces milliers d’enseignants.
Vous semblent-ils si différents de leurs aînés ?
F.C: Par rapport aux « hussards noirs » de la IIIe République oui mais c’est une image surfaite. Ils sont différents parce qu’ils vivent dans une société différente et que les modes d’éducation des enfants ont évolué. Ce qui a le plus changé ce ne sont pas les enseignants mais les programmes et surtout la nature des savoirs enseignés. Depuis la création des IUFM, les PE sont formés sur le modèle du second degré, avec un cloisonnement disciplinaire qui peut les mettre en difficulté. Eux ont choisi le premier degré alors qu’ils auraient pu passer les concours du second, pour être polyvalents, travailler avec de plus jeunes enfants et les accompagner toute la journée et non selon des créneaux horaires réduits. Ils souhaitent aussi bénéficier de concours académiques pour rester dans la région où ils veulent vivre.
À quoi sont-ils attachés ?
F.C : À la relation avec le groupe classe et aux apprentissages de leurs élèves. C’est à la fois ce les motive et ce qui les fatigue. Ils sont lassés par la bureaucratie qui s’accroît mais se disent heureux de retrouver leurs élèves, de voir leurs progrès, ces « petites lumières dans les yeux » quand ils comprennent. Ils sont très attachés à les voir grandir et ont même parfois du mal à les voir partir en fin d’année. Ce qui les aide beaucoup également, contrairement à ce que se dit trop souvent, c’est le travail avec leurs collègues qu’ils soient proches ou éloignés : beaucoup d'échanges se font sur Internet via les blogs, les groupes… Certains s’engagent dans des mouvements pédagogiques ainsi, non pas pour leur « idéologie » mais pour une question de métier : « Comment faites-vous pour faire écrire vos élèves ? » « Quels albums utilisez-vous ? » etc.
Qu’est-ce qui les met en difficulté ?
F.C : La première des difficultés c’est l’intensité relationnelle et émotionnelle de la présence, six heures par jour, avec un groupe d’enfants. Difficile d’être attentif à chacun, de respecter les rythmes individuels, d’aider les plus en difficulté… La grande précarité sociale et familiale de certains enfants les touche aussi beaucoup. Il y a aussi les enfants en situation de handicap qui déstabilisent la classe et le groupe. Tous les enseignants sont favorables à l’inclusion de ces enfants mais à condition que celle-ci soit mieux organisée, notamment en maternelle, car les enfants qui font des « crises » sont de plus en plus nombreux. Quant à la relation avec les parents, elle est perçue comme très importante tout en plaçant les PE dans des situations difficiles, surtout quand les parents demandent des comptes et surveillent les cahiers, les corrections, les méthodes… Enfin, la bureaucratie renforce la pression au travail, tout comme les réformes continues, des programmes ou des formes d’évaluation. Cela crée un sentiment de défiance et de désarroi face à l’institution. De plus en cas de conflit avec des parents ou des Atsem, les PE se sentent peu soutenus par leur hiérarchie.