Réforme Choc des savoirs: maths
Mis à jour le 08.02.24
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Maths : un enseignement complexe
Les résultats de la France aux évaluations internationales Pisa servent de prétexte à la mise en place de la nouvelle politique éducative en matière d'enseignement des mathématiques. Refonte des programmes, « méthode de Singapour », manuels labellisés financés par l’État… Mais qu’en pensent la profession et la recherche ?
« Au début de ma carrière, je trouvais que la grammaire, la lecture et l’expression écrite étaient plus difficiles à enseigner que les maths, mais je me suis rendue compte, au fur et à mesure, de la complexité de son enseignement du fait des difficultés des élèves », avance Sophie, enseignante dans une commune rurale des Yvelines. Après une première carrière dans la communication, elle se tourne vers l’enseignement du premier degré : « La pluridisciplinarité me plaît. À l’école, chaque jour est nouveau ». Sans formation universitaire suffisante à la pédagogie, sans travail d’équipe, elle a mis du temps à choisir des ressources en mathématiques. « Aucune ne me convenait à 100% », confie-t-elle. Elle utilise plusieurs manuels qu’elle met à sa main et démarre toujours ses séances par des situations de manipulation en groupe. Et Singapour ? « J’ai essayé la « vraie » méthode il y a quelques années mais elle n’était pas conforme aux programmes, indique Sophie. "Finalement je n’ai gardé que le matériel ! Je ne me retrouve pas dans la nouvelle version qui est « adaptée » et trop simplifiée ». Depuis quelques années, elle participe à un groupe de recherche sur la résolution de problèmes.
En petits groupes
Stéphanie enseigne en école internationale à Strasbourg où elle jongle avec un double niveau CE1/CE2 et des élèves qui sortent par cohorte tous les jours pour rejoindre leur classe de langue native. Ce fonctionnement permet de travailler les maths en petits groupes. Après mûre réflexion et l’avis de ses élèves, elle a choisi un seul fichier pour les CE2, dont elle utilise assidûment le guide et le Cd-rom.
« Il se prête au niveau de mes élèves et permet beaucoup de travail en autonomie ». Il correspond aussi à la réflexion menée par l’équipe autour d’une programmation de cycle des techniques opératoires. Un fichier très structuré et progressif qui commence toujours par du calcul mental, peu de manipulation et plus d’abstraction. Pour les CE1, elle y ajoute un complément pour les manipulations. Le mode paysage pour la géométrie est un vrai plus pour l’enseignante. Un manuel labellisé ? « Encore faut-il que cela me parle pour y adhérer » répond-elle.
Indispensable formation
« Je travaille avec la même méthode depuis plusieurs années, explique Anouck, mais je ne fais jamais la même chose car je m’adapte au groupe classe ». Une méthode inspirée de plusieurs sources qui nécessite un bagage didactique et des habitudes en classe pour fonctionner. Dans son CM2 en Rep+ à Champigny-sur-Marne, elle a ritualisé le calcul mental, la géométrie et le calcul posé. Un enseignement en ateliers qui lui plaît pour la gestion de l’hétérogénéité ou les évaluations orales, outil permanent de suivi des élèves. « Les PE devraient être formés à chercher les ressources qui leur correspondent le mieux ainsi qu’à leur groupe classe, soutient-elle. Il serait dangereux de ne pas encourager la concurrence entre les méthodes et d’aller vers une solution de facilité ». Mais le matériel ne fait pas tout. Depuis quelques années, dans le cadre des formations Rep+, elle participe avec ses collègues de l’école à un projet LéA, une recherche collaborative avec des universitaires et des didacticiens et didacticiennes. Cela a changé son regard sur l’enseignement des maths et fait évoluer ses pratiques : « Avant on faisait des problèmes pour faire des maths et maintenant on a compris qu’on faisait des maths pour résoudre des problèmes », sourit-elle.
Pleines de ressources mais aussi d’interrogations, ces enseignantes ont des solutions à proposer à la complexité de cet enseignement et à la gestion de l’hétérogénéité des élèves dans cette discipline : la réduction des effectifs, des enseignant•es surnuméraires pour travailler en petits groupes, la liberté pédagogique dans le choix des ressources, des moyens pour acheter du matériel et bien sûr, une importante formation initiale et continue adossée à la recherche.
Cécile Allard est maîtresse de conférence en didactique des mathématiques
C'est quoi la "méthode de Singapour" ?
Ce n’est pas une méthode mais bien un manuel qui ne propose rien de nouveau ni d’original. « Singapour » est avant tout la promotion d’un apprentissage du type « j’apprends, j’applique ». Il n’y a pas de tâches robustes dans les situations de découverte. Pour la résolution de problèmes dans le manuel de l’élève CP, la réponse est dans l’image puis traduite/verbalisée. Cette conception des maths est du « codage d’action », des recettes à appliquer. Il n’y a pas d’ambition à faire raisonner les élèves. On n’y construit pas la compétence liée à la persévérance, à l’essai, à la flexibilité cognitive, à la validation. Il n’existe pas de « méthode miracle » et les résultats au niveau international de Singapour ne peuvent pas être réduits à l’utilisation d’un seul manuel. Cet État-cité s’appuie sur une importante formation initiale et continue de haute qualité et très exigeante, un niveau élevé en maths des enseignants et enseignantes, un investissement de tout le monde y compris des parents et des élèves.
Le ministère veut l'importer en France, est-ce réaliste ?
Sauf à vouloir calquer notre culture sur celle de Singapour : cours du soir, stress au travail, professeurs très bien rémunérés… On compare ce qui n’est pas comparable et Singapour est un autre monde : nombre d’habitants, différences sociales, apprentissages à la maison. La France est championne des écarts et de l’adaptation. Imposer un manuel ne va pas régler le problème des inégalités mais plutôt le creuser. Les classes performantes l’auront vite fini et feront autre chose, tandis que les plus faibles vont se contenter de procédures de bas niveau. Il faudrait comparer avec des pays qui sont plus proches de notre culture… mais Pisa n’est peut-être pas le bon outil de pilotage. De plus, la mise en œuvre risque d’être aléatoire. Cela va intéresser les contractuels peu formés qui seront rassurés mais cela ne correspondra pas aux attentes d’enseignants plus experts qui n’ont pas été formés à la même conception de l’apprentissage.
Enseigner, un métier complexe ?
Réduire le métier à l’usage d’un manuel est caricatural. Les enseignants utilisent tous et toutes plusieurs ressources, selon une étude Praesco 2019 de la Depp. Apprendre à discriminer les ressources et comprendre l’écologie d’un manuel devrait faire partie des compétences professionnelles des PE à développer dès la formation initiale. Ce nomadisme dans le choix des manuels, des méthodes, des ressources peut s’expliquer par le fait qu’aucune ne réponde complètement à leurs besoins et à leurs attentes. Il est aussi lié à la difficulté de la gestion du groupe en fonction de l’expertise de l’enseignant. La succession des réformes empreintes de défiance a insécurisé les PE. Faute de formation, les connaissances didactiques se diffusent mal et apporter des réponses efficaces à des problèmes complexes requiert du temps. Dans les recherches collaboratives, il est possible « d’oser tenter autre chose » et d’agir positivement sur les acquis.
Labelliser un manuel, quelles conséquences ?
La question est de savoir sur quels critères labelliser ? Qui va décider si tel manuel enclenche une activité mathématique robuste ? La condition serait que cela soit réalisé par un groupe constitué de formateurs/IEN et didacticiens proches du terrain. On cherche des leviers à Singapour et on met de côté l’expertise française. Or, enseigner dépend aussi de la culture de la société dans laquelle on vit.
Pour aller plus loin
Pierre Merle, sociologue et professeur émérite, est spécialiste des questions scolaires et des politiques éducatives. Il analyse les conséquences du "Choc des savoirs" pour l'école primaire.
Alors que les résultats Pisa montrent une tendance mondiale de chute des résultats des élèves et pointe le système scolaire français comme étant l'un des plus inégalitaire, le Rue de Grenelle persiste et signe. Le ministère porte une écoles encore plus ségrégative: l'analyse de la FSU-SNUipp.