Sanctionner pour éduquer

Mis à jour le 22.01.23

min de lecture

Sanction ou punition : que choisir, comment faire ?

Sanction ou punition : que choisir, comment faire ? Des questions au cœur de la gestion de classe.

En 2021, une saisine sur cinq de la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur a porté sur des faits relatifs à la discipline scolaire. Un volume qui a doublé en cinq ans et dont une situation sur six implique un élève du primaire. Par ailleurs, les enquêtes du projet ADHERE coordonné par le sociologue Eric Debarbieux révèlent qu’à l’école, six élèves sur dix disent avoir été sanctionnés dans l’année scolaire. Bien que très utilisée dans les classes françaises et sous des formes très diverses, la sanction reste, selon Eirick Prairat, « un tabou et un impensé » du système éducatif. D’après le philosophe, il n’est pourtant pas d’éducation sans sanction. La question n’est donc pas tant de savoir s’il faut ou non sanctionner, mais comment s’y prendre et à quelle fin ?

Apprendre les règles

Au cœur des gestes professionnels enseignants, la sanction vise à la fois à faire face aux comportements hors règles, à créer un cadre serein et « sécure » d’apprentissages et faire que chaque élève y trouve sa place. Fruit d’un long combat de l’école républicaine pour bannir des pratiques les châtiments corporels, l’actuel cadrage réglementaire s’inscrit dans la Convention des droits de l’enfant. Le règlement des écoles interdit donc de « porter atteinte à l’intégrité morale ou physique d’un enfant », requiert d’encourager les comportements adaptés à la vie scolaire, de valoriser les élèves et de renforcer leur sentiment d’appartenance. Il rappelle que les « réprimandes » concernent les comportements contraires aux « règles du vivre ensemble » et non les difficultés d’apprentissage. Par contre, il éclaire peu les personnels sur la mise en œuvre d’un cadre d’enseignement maîtrisé évitant la confusion entre sanction et punition. Or, donnant l’illusion d’un maintien de l’ordre scolaire à court terme, la punition centrée sur la personne instaure une relation de pouvoir, au détriment de la primauté de la règle partagée et de son apprentissage. A contrario, les sciences de l’éducation dégagent des principes pour que la sanction soit « éducative », garantisse la justice au sein du groupe-classe tout en ayant du sens pour l’élève contrevenant.

Impliquer le groupe

Pour ce faire, la « sanction éducative », conforme aux principes du droit (légalité, proportionnalité à la gravité des faits, expression contradictoire de toutes les parties), est nécessairement individuelle car elle vise à responsabiliser, à propos des conséquences de ses actes, un sujet en devenir. Objective, elle porte sur un acte particulier commis dans une situation particulière. Elle prive de l’exercice d’un droit, d’avantages octroyés par le groupe. Cette privation peut aussi prendre la forme d’une exclusion temporaire, à condition qu’elle s’accompagne d’un échange avec un adulte. La sanction éducative propose enfin un processus réparatoire - paroles d’excuses non culpabilisantes en direction de la victime ou travail d’intérêt général au bénéfice du groupe - qui resocialise l’élève. Pour plus d’efficacité, la sanction gagne à être différée dans le temps, à travers le recours à un conseil d’élèves, à condition qu’il ne relève pas du tribunal. L’implication du groupe peut consister en la recherche de solutions critériées (toujours en lien avec le comportement, respectueuse, raisonnable et aidante) à un problème concret posé par la transgression. Ce processus peut aller jusqu’à laisser l’élève transgresseur choisir parmi ces solutions pour mieux se responsabiliser dans un environnement sécurisé. En considérant le groupe comme une aide, dans la conception et l’application de la sanction, les PE peuvent ainsi échapper à une angoissante solitude.

 FsC 487 Benjamin Moignard

Benjamin Moignard est professeur des Universités en sciences de l’éducation à l’Université de Cergy-Paris, directeur de recherche à l’INSPE de Versailles, co-auteur de « L’impasse de la punition à l’école », sous la direction d’Eric Debarbieux (Colin, 2022).

Le niveau des sanctions scolaires est-il élevé en France ? 

Oui, en Europe, la France est un des pays qui sanctionnent le plus. En cycle 3, un quart des élèves de REP ont des lignes à copier. La moitié des élèves du second degré disent avoir été « collés », soit deux fois plus qu’en Angleterre et en Italie. Le système éducatif français a une forte culture de la sanction, imprégné d’un héritage jésuite qui considère nécessaire une forme de pression sur les corps pour le maintien de l’ordre scolaire et un enseignement de qualité. Le seuil de tolérance y est bien plus bas, en particulier envers l’insolence. 

Tous les élèves sont-ils sanctionnés de la même manière ? 

Non, 80% des sanctions concernent les garçons. C’est la conséquence de comportements plus perturbateurs et provocateurs qui correspondent à une socialisation viriliste. Mais ce taux résulte aussi de stéréotypes de genre chez les personnels éducatifs. Un garçon insolent est vu comme un jeune qui s’affirme et est sanctionné. Une fille avec la même attitude est considérée comme ayant une difficulté singulière ou des problèmes familiaux et ne l’est pas. Au niveau social, il faut être prudent. Les fortes disparités de niveaux de sanctions ne recoupent pas forcément les compositions sociales des établissements. Enfin, certains élèves accumulent les sanctions pour des attitudes de confrontation. C’est une difficulté pour les équipes car plus la sanction est routinisée, moins elle fait sens et plus elle est inefficace.

A quelles conditions la sanction est-elle efficace ? 

Il faut éviter l’inflation. Les établissements qui sanctionnent au plus juste sont plus efficaces. Quand trop d’élèves sont sanctionnés, le suivi éducatif individuel n’est pas possible. Les sanctions peuvent également constituer un outil de régulation des conflits entre adultes. Dans ce cas, elles ne répondent plus à un acte mais résultent d’une demande de solidarité de la direction envers une difficulté éprouvée dans la gestion de classe. Les questions disciplinaires étant clivantes, elles doivent être coordonnées à l’échelle d’un établissement avec un souci d’équité et d’équilibre. Les textes législatifs actuels, plutôt positifs, proposent une telle organisation, mais ils sont mal connus et peu appliqués. Et il faut sortir de débats idéologiques réducteurs sur la nécessité d’un ordre scolaire dur. La recherche montre qu’un ordre est pertinent quand il est juste, la sensibilité des élèves à la justice scolaire étant croissante.

FsC 487 décryptage sanction©Millerand-NAJA

ÉVITER LE FACE-À-FACE
Agitation, impulsivité, difficulté à gérer la frustration, provocations, violences… des élèves multiplient les transgressions, sans intention malveillante. Ces comportements d’élèves à « difficultés d’expression comportementale » aux causes multiples ne relevant pas du seul champ éducatif, sont difficiles à identifier par les PE. Y répondre « à chaud » risque l’escalade transgressions/sanctions, et à terme, démotivation de l’élève, rupture de confiance avec la famille et insécurité de l’enseignant•e. Des aménagements peuvent l’éviter, comme augmenter le nombre d’essais-erreurs admis avant sanction, régulés en fonction des progrès. Limiter les sanctions aux seules atteintes au respect et à la sécurité pour tolérer impulsivité et droit à la colère, en maintenant des exigences sur leur expression. Différer les annonces de sanction, les formuler sans affect, les faire dire par un tiers, sans jamais confronter l’élève à son trouble spécifique, l’inscrire dans un projet de restauration de l’estime de soi avec l’aide dialoguée d’un adulte tuteur sont des pistes à explorer. Elles supposent temps de travail collectif, formation, collaboration avec Rased et équipe pluridisciplinaire et, de sortir au préalable des mythes de « l’autorité naturelle » et de l’expérience « réponse à tout » pour ne pas faire l’économie des moyens nécessaires.

Écrire à la rédaction

Merci de renseigner/corriger les éléments suivants :

  • votre prénom n'a pas été saisi correctement
  • votre nom n'a pas été saisi correctement
  • votre adresse email n'a pas été saisie correctement
  • le sujet n'a pas été saisi correctement
  • votre message n'a pas été saisi correctement

Merci de votre message, nous reviendrons vers vous dès que possible