Séverine Kakpo, maître de conférences en sciences de l'éducation: "Tout processus d'apprentissage passe par une phase de travail personnel."

Mis à jour le 26.03.18

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Séverine Kakpo enseigne à l’université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis. Elle est membre du laboratoire CIRCEFT-ESCOL et ses recherches portent sur le travail hors la classe des élèves et sur la « division sociale du travail éducatif » entre école, familles et acteurs du monde périscolaire. Elle a publié aux PUF « Les devoirs à la maison :mobilisation et désorientation des familles populaires. »

Pourquoi les devoirs perdurent-ils, alors qu’ils sont interdits depuis 1956 ?

Il faut rappeler que les devoirs ne sont pas interdits en tant que tels en primaire.
Ce sont les travaux écrits qui sont interdits et pas les tâches orales. Mais cette différence fait sans doute peu sens pour les enseignants car un travail oral, comme une lecture préparatoire ou encore l’apprentissage d’une leçon, peut requérir autant de temps qu’un travail écrit et présenter un grand degré de complexité pour les
élèves. On peut donc s’interroger sur la pertinence de cette opposition. Si les
devoirs continuent à être prescrits, c’est sans doute parce que tout processus
d’apprentissage passe par une phase de travail personnel, qui permet appropriation et consolidation des notions étudiées. Or, le plus souvent, la classe n’offre pas aux élèves l’opportunité de mettre en oeuvre ce travail personnel. Il est important que les travaux
qui sensibilisent les enseignants aux inégalités sur l’externalisation du travail personnel des élèves ne conduisent pas à conclure qu’il faut arrêter de prescrire des devoirs pour résoudre les problèmes soulevés.

Comment les familles investissent ou gèrent cette question ?

« Accompagner les devoirs » ne relève pas de l’évidence pour bon nombre de parents. Pour la plupart des parents de milieux populaires auprès desquels j’ai enquêté, il est clair que le rôle qui leur incombe est d’aider leurs enfants à retourner en classe avec des devoirs justes et corrigés. Les parents ne se contentent pas de prodiguer un encadrement moral ou matériel des devoirs, ils mettent littéralement « la main à la pâte des apprentissages », empiétant sur les territoires dévolus aux enseignants. Faut-il en conclure que les parents se méprennent sur les attentes des enseignants, qui sont souvent enclins à dire qu’ils n’attendent pas ce genre d’aide des parents ? Ou faut-il en conclure que les parents répondent en fait ainsi aux attentes implicites mais bien réelles de l’école ? Je penche davantage pour la seconde hypothèse. Après tout, le récent développement des dispositifs qui se proposent d’aider les élèves à faire leurs devoirs n’accrédite-t-il pas l’idée qu’une grande partie de la réussite se joue en dehors de la classe et qu’il ne faut pas laisser les devoirs revenir en classe « à l’état naturel » ?

Y a-t-il des devoirs efficaces?

Les observations que j’ai conduites avec Julien Netter au sein de dispositifs d’aide aux devoirs montrent que certains types de prescriptions sont plus utiles que d’autres. On a pu distinguer une "boucle vertueuse" du travail personnel, qui exporte vers l’étude, ou vers la maison, des devoirs renvoyant à des enjeux d’apprentissage que les enfants se sont suffisamment appropriés en classe pour pouvoir travailler seuls. Cela ne rend pas superflue la présence des adultes, des enseignants qui peuvent intervenir pour stabiliser, consolider les connaissances. À l’opposé, une « boucle » moins vertueuse consiste en
l’exportation de notions qui n’ont pas été acquises en classe. Cela ne permet pas aux élèves de travailler seuls et contraint les personnes qui les encadrent à s’engager dans des démarches difficiles, coûteuses d’assistance, puisqu’elles doivent refaire ce qui n’a pas pu être fait en amont, en classe. Le « bon devoir », c’est celui que l’élève peut faire seul, en autonomie.

Un nouveau dispositif "devoirs faits" est annoncé pour la rentrée, qu'en pensez-vous?

Je pense que l’école doit proposer un encadrement du travail personnel des élèves, se proposer d’être son propre recours, en somme. Mais la « réinternalisation » des devoirs n’est pas forcément un gage d’efficacité. Aujourd’hui, une part non négligeable des difficultés rencontrées durant le temps de l’étude tient à ce que les élèves ne se sont pas appropriés les savoirs en classe. Le temps d’étude reçoit alors la charge de ce qui aurait dû être réglé en classe, devenant une caisse de résonance de tous les dysfonctionnements scolaires. C’est la raison pour laquelle je crois profondément qu’une réforme des devoirs n’a de sens qu’articulée à une réforme pédagogique de fond, sur la formation des enseignants, sur ce qui pourra permettre de rompre avec les orientations qu’a pris l’école ces dernières années, basées sur la mise en concurrence des individus et des établissements. La proposition du ministère n’est pas vraiment novatrice, cela fait plus de vingt ans que des dispositifs d’aide aux devoirs, financés par l’argent public, se sont développés à la périphérie de l’école.

L'ensemble du dossier ici.

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