“Une spécificité liée à l’âge des élèves ...”
Mis à jour le 03.09.20
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Interview d'Antoine Thépaut, spécialiste de la didactique de l'EPS
Antoine Thépaut est maître de conférences à l’Université de Lille et spécialiste de la didactique de l’EPS. Il est également membre du laboratoire Theodile-CIREL et développe des recherches en didactique comparée.
Quel est le rôle de l’EPS à l’école primaire ?
Antoine Thépaut : L’éducation physique et sportive est clairement une discipline scolaire, au même titre que les autres, qui participe de la formation globale et polyvalente de l’enfant. De manière générale on ne peut envisager une éducation sans envisager un accès aux pratiques physiques. Le rôle premier de l’EPS permet d’accéder à cette culture et ce dès la maternelle. Trop souvent on envisage cette discipline au service des autres, dans une fonction transversale. Elle doit être envisagée et enseignée pour elle-même. L’EPS en soi ne permet pas de lutter contre l’échec scolaire, mais peut tout au contraire renforcer les inégalités selon les conditions dans lesquelles on l’enseigne. Ce sont bien les conditions de mise en œuvre qui vont permettre de mettre les élèves en réussite et non la discipline de manière intrinsèque.
Quelles sont ces conditions ?
A.T. : Il est essentiel de définir les critères de réussite des activités que l’on pratique avec les élèves. S’ils ne sont pas explicites, l’élève est renvoyé à lui-même et ne peut s’inscrire dans une stratégie d’apprentissage. Lorsqu’on fait jouer les élèves, on peut constater un résultat de match mais c’est loin d’être suffisant pour permettre aux élèves de mesurer leurs progrès et leurs réussites. Trop souvent la séance d’EPS terminée, on passe à une autre activité sans prendre le temps de verbaliser ce qui a été réussi ou non. De la même manière qu’en mathématiques ou en orthographe il faut anticiper un temps de discussion et permettre de conduire une pratique réflexive sur l’activité. Des critères explicites de réussite vont permettre de mieux cerner le sens des apprentissages en cours et pour les PE de mieux lire et évaluer l’activité de leurs élèves. Pour créer des situations de réussite, il s’agit de passer du registre d’une activité spontanée au registre d’une prestation technique reproduite délibérément.
Ce sont bien les conditions de mise en œuvre qui vont permettre de mettre les élèves en réussite
et non la discipline de manière intrinsèque.
Le sport à l’école permet-il de tendre vers plus d’égalité ?
A.T. : Les questions d’inégalités de pratique sportive relèvent de trois ordres : géographiques, sociales et de genres. L’école permet aux élèves de vivre et d’acquérir ensemble des savoirs. À l’inverse de ce qui se passe bien souvent dans les pratiques sportives extérieures où les genres et les milieux sociaux sont bien marqués. Pour autant si on veut travailler ces questions d’égalité, il faut définir les conditions qui le permettent. On s’est rendu compte que dans des activités spontanées où on laisse les élèves constituer leurs équipes, même mixtes, les rôles des garçons sont souvent ceux de distributeur et meneur du jeu et ceux des filles dans le démarquage et une forme d’attente. Le jeu collectif mixte à effectif réduit, va permettre de dépasser cela et aura des effets bénéfiques pour l’inclusion de tous les élèves, par exemple pour des garçons en difficulté motrice.
Les PE ont parfois des réticences avec l’EPS. Sont-ils suffisamment formés ?
A.T. : Trop souvent on regarde cet enseignement dans le 1er degré à partir de ce qui est pratiqué en EPS au collège et au lycée. C’est un point de vue porté que l’on ne retrouve pas dans les autres disciplines. Ceci a pour effet de culpabiliser les PE dans un sentiment d’incompétence. Il y a une spécificité, liée à l’âge des élèves et à l’organisation des enseignements qu’il faut prendre en compte. Pour eux, la distance à parcourir pour comprendre les difficultés des élèves est plus grande car plus éloignée des modes de comportement et de raisonnement usuels des collégiens, lycéens et de l’adulte qu’est l’enseignant. Une autre spécificité de cette discipline est qu’elle oblige à sortir de la classe et à gérer des interactions différentes entre élèves. Affronter le mauvais temps, installer du matériel, gérer des groupes en parallèle amène à développer des compétences professionnelles qui seront également utiles dans la conduite de la classe et des apprentissages. Et puis de la même manière qu’en mathématiques ou en français le développement de connaissances épistémologiques des activités physiques et sportives va leur permettre de mieux accompagner leurs élèves dans la connaissance et la compréhension des activités sportives. Les sports notamment collectifs ont aussi une histoire au même titre que celle des règles d’orthographe ou des techniques de calculs.