L'école face à l'extrême droite

Mis à jour le 27.11.22

min de lecture

"Sélection et ségrégation font l'ADN du RN" : Françoise Dumont analyse le projet de l'extrême droite pour l'école, une politique de sélection.

Françoise Dumont est présidente d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), en charge des secteurs Droits des jeunes et Femmes de la LDH.

UDA 2022 Françoise Dumont©Millerand-Les grenades-Naja

Quel est le projet de l'extrême droite pour l'école ? 

Pour l’extrême droite, l’école est dans une forme de déclin, et ce depuis mai 68. Elle serait gangrénée par la gauche, l’extrême gauche et l’innovation pédagogique. Pourtant, l’école ne prend pas une grande place dans le programme du RN. Malgré les déclarations tonitruantes, leur projet reste très flou et tient une moindre place, au regard de sujets tels que l’immigration. Le mot d’ordre est « restaurer » : restaurer l’efficacité du système éducatif, restaurer l’autorité du maitre et restaurer l’autorité à l’école de façon plus générale. En réalité, leur objectif est de construire une école fondamentalement différente de celle que l’on connait. Il s’agirait de lui assigner un rôle patriotique en privilégiant un certain nombre de disciplines, dites fondamentales, et en accordant une place importante à l’histoire. Ce n’est pas un hasard. Il y a une volonté d’enseigner l’histoire sous forme de roman national. On est loin d’une vision émancipatrice de l’école, d’une école du développement de l’esprit critique. Si on compare cette vision de l’école aux principes fondateurs de l’école républicaine, c’est une sacrée évolution.

En quoi cela peut-il être dangereux ?

Cela peut être dangereux car l’extrême droite cherche à former des jeunes très formatés. C’est aussi dangereux car Marine Le Pen, candidate pour le Rassemblement National à la dernière élection présidentielle, souhaite que les programmes scolaires soient définis par le Parlement et que le ministre de l’Éducation nationale ait un droit de regard sur les manuels. Cela donne une idée de la main mise qu’aurait le politique sur les contenus scolaires. C’est aux antipodes de notre idée de la formation de la jeunesse mais c’est aussi une façon de transformer les enseignants en de simples exécutants.

Une politique de sélection est-elle prônée par le RN ? 

Sélection et ségrégation font l’ADN du RN. L’égalité n’est pas pour tout le monde. Une partie de la population française est de fait exclue du principe d’égalité avec l’idée de la préférence nationale. L’extrême droite défend aussi une sélection précoce, et ce dès l’entrée en sixième, même si elle n’a pas été très virulente contre le collège unique lors de la dernière campagne présidentielle. Selon elle, il faut très tôt former une certaine élite. C’est d’ailleurs assez loin du discours qui entend défendre les intérêts des Français – de souche – les plus précaires. Quant à savoir ce qu’on fait des élèves qui ne font pas partie de l’élite, de ceux qui ne sont pas jugés à la hauteur, les propositions de l’extrême droite demeurent très floues sur la question de l’échec scolaire. La préférence nationale reste toujours en toile de fond, Marine Le Pen est d’ailleurs très critique sur l’éducation prioritaire. Selon elle, l’éducation prioritaire favorise les banlieues où vivent nombre de familles d’origines migrantes et donc, lui donner des moyens, c’est donner plus à des enfants qui ne seraient pas de « vrais » Français et cela notamment au détriment des écoles rurales. L’extrême droite considère que la présence d’enfants issus de l’immigration fait baisser le niveau de l’école, notamment à cause d’une mauvaise maîtrise de la langue. Il s’opère donc une double sélection, l’une sur les origines des élèves et l’autre sur les résultats des élèves.

Les salles des profs sont-elles préservées de la montée de l'extrême droite ? 

Globalement, les enseignants continuent à voter à gauche, plus à gauche que d’autres fonctionnaires, notamment la police. Pourtant, on note un certain trouble. On ne peut plus parler des salles de profs comme d’un bastion de la gauche. Aujourd’hui, il faut un peu nuancer, c’est plus compliqué. Il est évident qu’à partir du moment où on laisse les enseignants se dépatouiller seuls dans des situations extrêmement complexes et sans moyens, cela les rend plus sensibles aux sirènes de l’extrême droite. Et puis, quand Marine Le Pen évoque la situation sociale, le pouvoir d’achat, cela parle effectivement aux enseignants puisqu’il n’y a pas eu de réponse satisfaisante lors du dernier quinquennat. Les enseignants continuent de voter à gauche mais on sent qu’il y a une faille, des tentations, des doutes. Les enseignants appartiennent à la société, la banalisation du discours de l’extrême droite ne les épargne pas.