Sylvie Plane: programmes, un carcan très étroit

Mis à jour le 19.03.24

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Les Conseil supérieur des programmes a publié deux "lettres d'intention" sur les programmes de mathématiques et de français des cycles 1 et 2. Sylvie Plane en livre une première analyse.

Le 8 janvier 2024, c’est-à-dire la veille du jour où il quittait son poste pour devenir premier ministre, Gabriel Attal a envoyé une lettre de saisine au Conseil supérieur des programmes (CSP) pour lui demander de procéder à « une révision complète des programmes ».
Le CSP vient de s’acquitter d’une première étape en publiant pour la maternelle et le cycle 2 deux « lettres d’intention », l’une portant sur le programme de mathématiques, l’autre sur celui de français.

La lettre signée par le ministre, mais qui semble avoir été dictée par le Conseil scientifique de l’éducation nationale mis en place par J-M. Blanquer (CSEN), et les lettres d’intention du CSP tracent un portrait inquiétant de l’école à venir, avec un enseignement très segmenté, très contrôlé, peu soucieux du sens que pourraient lui donner les élèves, et qui fait des enseignants de simples exécuteurs de consignes.

Je ne relèverai ici que quelques points saillants de la lettre du ministre et de celle du CSP sur le français.

Une école pilotée dès la maternelle par le désir de gagner des points dans les évaluations PISA

La lettre du ministre datée du 8 janvier demande que la réécriture des programmes porte sur le français et les mathématiques et se fasse « en cohérence avec la réécriture du socle commun pour laquelle le CSP est par ailleurs saisi. » Ah bon ? ont dû se dire les membres du CSP qui avaient bien appris par la conférence de presse du ministre qu’il avait l’intention de leur demander de s’attaquer à la refonte du socle commun, mais qui devront attendre le 13 mars pour en être saisis officiellement, grâce à madame Belloubet qui a réparé cette négligence.

Les programmes et le socle se focaliseront donc sur le français et les mathématiques, au détriment des autres domaines, et plus précisément, pour ce qui concerne le français sur la lecture, faisant passer à l’arrière-plan tout ce qui n’est pas évalué par PISA. La tonalité est donnée par la lettre du ministre qui demande au CSP de préfigurer le programme de français de la maternelle au CE2 par une note « sur l’enseignement de la lecture ». Comme si le français se réduisait à la lecture, et comme si l’école maternelle devait enseigner la lecture et non pas non pas préparer les élèves à la lecture.

Le CSP, par bonheur, prend quelque liberté et évoque également dans son projet le développement du langage à l’école maternelle. Il ne pouvait faire moins. Mais il le mentionne de façon sommaire et ne spécifie que deux objets d’apprentissages, dont l’un, la conscience phonologique, relève en réalité de la préparation à l’écrit.
Autrement dit, d’après ce projet, les apprentissages touchant à l’oral ne seraient légitimes que s’ils préparent à l’écrit. D’où le fait que, dans le projet du CSP, ils tombent dans les sables au cycle 2.

Un découpage temporel étroit et contraignant

La commande ministérielle et la note du CSP prévoient pour les programmes à venir un cadrage temporel très serré qui ne laisse aucune place aux différences de rythme d’apprentissage des élèves et aux initiatives des enseignants.

Les cycles continueront bien à constituer une unité de référence, mais uniquement parce qu’ils permettent de déterminer des attendus terminaux et donnent lieu à de grandes batteries d’évaluation nationales – qui d’ailleurs ne se limitent pas aux fins de cycles. Mais les programmes seront annuels ou infra-annuels, chaque trimestre formant une sorte de bloc clos, comme si tout ce qui a été travaillé dans une période donnée de l’année était définitivement acquis.

Le découpage temporel ira même beaucoup plus loin dans le détail, allant jusqu’à indiquer la fréquence hebdomadaire et même le minutage des activités, comme cela a été fait pour les exercices qui contrôlent la fluence. Ce niveau de précision s’explique par le poids donné à des activités visant l’acquisition de savoirs ponctuels ou de micro-compétences. L’intérêt de ces micro-compétences est incontestable, mais dans cette logique de segmentation, c’est un pari que d’attendre de leur empilage qu’elles permettent aux élèves d’accéder à une compétence pleine et entière.

Un pilotage très serré des enseignants

La commande du ministre promettait que les programmes à venir se distingueraient des précédents parce qu’ils définiraient non pas ce que le professeur doit enseigner, mais ce que les élèves doivent apprendre.

Pourtant, on voit au contraire se dessiner des programmes qui enserrent les enseignants dans un carcan très étroit.

Le CSP annonce en effet qu’il s’apprête à livrer un document qui contiendra un cadrage très précis des exercices prescrits, en termes de supports, de fréquence, de durée, de quantité, de performances attendues, etc. ainsi que la liste des bonnes pratiques. En réalité, il ne s’agit donc pas de fournir des programmes scolaires mais de publier un manuel à destination des enseignants que ceux-ci devront suivre à la lettre, jour après jour, heure après heure, et dont l’exécution pourra être contrôlée par les familles, puisque celles-ci sont également destinataires de ce manuel. Cette mesure va de pair avec la labellisation des manuels scolaires qui s’attachera principalement à vérifier que ceux du cycle 2 soient conformes aux injonctions du Conseil scientifique.

Les indications techniques fournies par les programmes auraient pu constituer un guidage utile aux enseignants, surtout dans un contexte où les personnes qui sont amenées à enseigner sont nombreuses à ne pas avoir pu bénéficier de formation. Sans doute est-ce d’ailleurs l’hypothèse retenue par le ministère qui s’apprête à pérenniser une situation de pénurie. Mais le caractère impératif de ces prescriptions, le fait qu’aucune part ne soit accordée à l’initiative des enseignants, qu’aucun espace ne leur soit laissé pour mener des projets, montrent qu’il s’agit avant tout d’un un outil institutionnel de pilotage et de contrôle des enseignants, et dans une certaine mesure des inspecteurs.

Il faut dire que, de son côté, le CSP n’a guère de liberté. Pour le dire clairement, il n’est pas attendu du CSP qu’il rédige à proprement parler des programmes (le groupe de travail ne comporte d’ailleurs aucun chercheur) ; il est simplement attendu de lui qu’il transforme en programmes scolaires les quelques 665 pages des guides publiés par le ministère, afin de donner force de prescription aux décisions du Conseil scientifique mis en place par J.-M. Blanquer.

Juste après la lettre de M. Attal, le ministère a changé de main. Sur le plan règlementaire, rien n’oblige madame Belloubet, désormais ministre, à adopter le projet de programme que lui remettra le CSP. Espérons qu’elle aura la liberté de prendre des décisions raisonnables.

Sylvie Plane
Professeure émérite des Universités
Ancienne vice-présidente du CSP